Les vagues faisaient danser le bateau d'un bord sur l'autre. Eugenio
était seul sur l'embarcation. Tous les autres avaient
sauté à la mer, pris par un vent de panique.
Pourquoi était-il demeuré ? Où
devait-il aller ? Mystère. Seule certitude : sa route
n'était pas finie.
En bas était le vide, en haut était le vide. De
tous côtés était le vide. S'il n'y a
rien à atteindre, c'est que rien est le but.
Poussé par le vent du hasard, l'embarcation atteignit enfin
une côte et c'était là le lieu :
Almeria. Ce qu'un homme atteint s'il cesse de désirer autre
chose qu'être. Temps, lieu et être ont ici une
seule essence : rien. Le vide parfait, c'est-à-dire le
détachement parfait. Ce qui permet à l'homme de
régner en son centre retrouvé.
Almeria, île de la paix sublime. Loin de toi je
m'étais égaré, poursuivant des
chimères, trop jaloux, trop inquiet de mon image. Je n'avais
pas encore acquis la suprême tranquillité, celle
qui permet de sourire à la mort. Mais me voici à
présent, mon amour éternel, mon seul et unique.
Comment ai-je pu te retrouver ? Un dieu m'aura peut-être
guidé. Mais c'est plutôt toi même qui
m'a appelé et tiré hors de mes
ténèbres. Car tu es la suprême
lumière, celle qui ne cesse de briller au milieu des ombres
de l'illusion.
Les hommes m'ont enseigné leurs mensonges, ils ont voulu
m'obliger à y croire. Mais toi tu brillais toujours devant
moi, guide fidèle. Source de toutes les sources. Je me suis
laissé enfermer dans les chaînes de l'intellect,
mais c'était pour mieux les briser. Je connais à
présent les chemins du labyrinthe, parce-que je connais la
sortie. Leurs discours n'ont plus de pouvoir sur moi : je suis libre.
Bienvenue à l'île d'Almeria, l'île de la
liberté. Ici tu es chez toi et nous sommes tous chez nous,
car la liberté, c'est ce qui se partage le mieux : le
meilleur des trésors. Ceux qui abordent sont accueillis par
des femmes porteuses de guirlandes, de couronnes et de parfums. Te
voici roi de la paix. Disent-elles...