Quel lien y a-t-il entre la psychanalyse et le communisme ? C'est que
l'inconscient doit être compris comme la manifestation
(l'inconscient n'existe qu'à travers le symptôme
qui le manifeste) du tout qui commande l'être particulier.
Ce tout n'existe que dans le plan symbolique. Cependant le rapport de
l'être particulier au tout suppose aussi la division, la
séparation. Il s'agit d'un rapport dialectique.
Ce pourquoi on ne peut constituer une société qui
soit l'incarnation du principe absolu, du tout. Il faut consentir
à cette aliénation qui est aussi une
libération. Le tout n'est jamais identifiable (sinon on
tombe dans l'idolâtrie). Il divise autant qu'il rassemble.
Il faut penser le tout à la manière
d'Héraclite. C'est-à-dire d'une façon
anti-totalitaire. La démocratie est en cela notre
modèle politique.
Dans le domaine du savoir, c'est la même chose. Lacan a
indiqué la voie qui menait à la connaissance
absolue. L'objet chute, mais sa place demeure. C'est celle de la lettre
: pur désir.
* * *
Reste à penser l'exception juive. Ici l'absolu a
réussi à s'incarner comme principe national. Cela
transcende les limites de la raison raisonnante (de son propre vide).
Israël manifeste l'impossible du réel. Il est en
fait une cause de division et de guerre dans le monde. Est-ce une
malédiction, une fatalité ?
Pourquoi l'absolu doit-il aussi signifier notre échec ? Ce
n'est pas à cause d'une faute dont nous serions coupables
(interprétation qui autorise toutes les manipulations).
C'est un fait de structure : une loi.
Alors il n'y a pas d'espoir d'en sortir, d'en réchapper, de
l'aliénation, du manque, de l'absence ? Jésus
n'est-il pas l'illusion suprême ?
Il faut penser les choses dialectiquement jusqu'au bout : l'illusion
est aussi nécessaire pour sortir des certitudes
terre-à-terre, du bon sens commun, qui prétendent
enfermer l'être dans un savoir sans horizon, sans ouverture
vers l'impossible.
Que serait l'humanité si elle n'était pas mue par
le désir de transcendance ? Il faut penser l'absolu jusque
dans ses extrêmes limites, là où il
n'est plus que principe de division : croix du désir.
Choix du désir. C'est par cela que je demeure humain au
milieu de l'enfer. Et que je le détruis. Ici Je ce n'est
plus moi. C'est exactement le moi sacrifié sur la croix de
feu du
désir (Mahabharata).
Freud
Qu'est-ce qui a conduit Freud vers la découverte de
l'inconscient ? Un désir singulier, et qui ne se fonde pas
en
raison, malgré ce que peut en dire la propagande lacanienne
(ce
que Freud a découvert, Lacan le fonde, affirment-ils
pompeusement).
Désir d'enfer : désir du pire
plutôt que du père. Désir du feu
où brûle
l'image du père.
Freud, fidèle au positivisme rationaliste de son
époque,
a mis l'inconscient à la place de l'enfer. Mais à
cette
place, comment est possible un savoir ? Ne faut-il pas un homme
particulièrement bien trempé,
possédant une
âme de forgeron, une âme de fer, pour faire
pareille
œuvre ? Dans la tradition, le forgeron est toujours une
figure
infernale...
Freud a forgé l'enfer. Des chaînes de fer qui sont
celles
de la psychanalyse : toi qui entre ici, abandonne tout espoir. A quoi
nous lie la psychanalyse ? À un savoir justement : un savoir
comme enfer !
Or comment se défaire de ces liens de fer ? En choisissant
le
pire plutôt que le savoir : en acceptant la purification
salvatrice du feu. C'est le choix qui sauve des enfers, soit de la
crainte de brûler.
Le feu, c'est ce qui libère. Qui le craint demeure
aliéné. Freud a forgé sa
théorie à
partir de ce constat. L'Œdipe
n'est qu'allégorie, métaphore du réel.
Puisque le réel ne peut se manifester qu'à
travers la
médiation du symbolique. Et puisque le symbolique, c'est un
autre nom du feu, origine de toute civilisation.
Je dis ce qui est. Tant pis si cela ne vous plaît pas. A la
place
du nom du père, je mets le nom du feu. Cela fond les
chaînes du savoir. La liberté est le seul absolu.
Pour qui travaillait Freud alors ? Pour quel maître
supposé ? Bientôt on allait inventer les fours
crématoires : depuis ce temps la grande chaudière
n'est
plus un mythe. Ce qui signifie que nous sommes sortis de
l'ère
mythique. On ne peut plus penser en termes mythiques (Jung a eu tort
contre Freud). Mais la raison n'est pas forcément une
chaîne. Penser rationnellement l'enfer, c'est ce qui nous
libère de l'emprise du maître, de sa dictature.
Car son
pouvoir ne se maintient ici-bas que par la crainte : "Vous serez
jugé ! Mais moi, je vous libère de votre
culpabilité" - dit-il. Or l'enfer, c'est ce qui
libère de
toute crainte. Puisqu'il est à la fois le jugement et la
purification.
La psychanalyse, c'est la solution rationnelle de l'enfer du savoir. La
passe par le pire. Freud a inventé la psychanalyse parce
qu'il
n'avait d'autre maître que son désir de savoir
à la
place du maître. Freud, c'est Œdipe
couronné. Mais il accepte de succomber à l'enfer
de son
désir : il ne le refoule pas. Il accepte le feu. De sang
froid.
Freud n'a pas inventé la foudre. Mais à suivre
ses traces
on sent une odeur de souffre. La seule façon de vaincre le
maître, c'est de passer par le feu avant qu'il ne vous y
mette !
On est alors guéri de la névrose, de la
résignation fataliste ou masochiste (perverse).
Freud certes n'aimait pas le maître : Herr Fuhrer !
C'était sa cause de haine. Ecce homo. Tout le monde
n'accède pas à l'absolu de la haine. Elle est
trop
souvent étouffée, sous de multiples
prétextes,
dont bien sûr certains religieux.
La vérité nous dit Freud, c'est l'enfer !
Débrouillez-vous avec ça. Et tant pis si
ça vous
empêche de dormir tranquille. La conscience
prévient le
passage à l'acte. Et s'il a lieu, ce sera en toute
connaissance
de cause : froidement. Éthique de l'assassin : la
méthode
avant tout ! La joie est en plus.
Qui est coupable ? Celui qui recule devant l'horreur
de son désir. Voilà. Nous allons enfin pouvoir
devenir
des hommes. Devenir ce que nous sommes vraiment : des assassins.
Homme, n'oublies pas de garder une part pour le feu.
Lacan a corrompu Freud : il a recouvert ce qu'il avait
découvert. A la place du tranchant de son désir,
il a mis
le mot : motus. Fétichisation du signifiant, au prix du
sacrifice du signifié. Moi je rends à Freud sa
couronne.
Et j'emmerde tous les terroristes, les aliénés du
tout,
de la masse à laquelle ils restent fixés, les
pauvres.
Incapables de devenir acteurs de leur désir propre (ils ont
trop
honte).
Qu'ils pourrissent dans leur honte ! Le feu guéri de la
pourriture.
Qu'est-ce que
l'inconscient ?
L'inconscient est un abîme sans fond, un abîme
noir. C'est une réalité que la science ne peut
saisir, mesurer avec ses appareils techniques. Elle est pourtant
concrète. Il ne s'agit pas que de représentation
: c'est du réel.
Cette réalité, j'en ai fait
l'expérience subjective et j'en ai été
profondément bouleversé. Exit la
théorie freudienne du refoulement pulsionnel
(nécessaire), de l'angoisse de castration que le conflit
œdipien génère, et la
théorie lacanienne du refoulement du symbolique. Pour cette
dernière, la lettre plutôt que la loi est cause du
désir qui interdit la jouissance. Ce dont le
père pour
l'enfant,
représente l'actualisation dans le
système familial. Car il n'y a de père
qu'à partir de la dimension symbolique (cf. le concept de
nom-du-père).
Tout cela a bien une consistance relative, une consistance logique.
Mais dans l'absolu, il ne reste plus rien de ces belles
théories. Il n'y a que le réel de
l'abîme. Ce que l'on ne peut regarder sans être
aussitôt métamorphosé en statue de
pierre et ce n'est pas la castration de la femme, le manque de ce
quelque chose qui appellerait en réponse
l'érection du phallus paternel, comme signifiant de la Loi
(de castration).
La castration féminine, ce n'est encore qu'une
allégorie du réel. Ce qui permet de le penser et
de le faire entrer dans la structure humaine, de le domestiquer, selon
l'économie du principe de plaisir.
Mon expérience m'a projeté au-delà de
l'humain. J'en suis revenu changé. Elle m'a aussi permis
d'entrevoir la possibilité d'une sortie de l'enfer. Cet
enfer que nous avons construit pour nous barricader contre
l'abîme. Enfer de la science, de la
nécessité économique qui voue des
milliards d'êtres humains à l'esclavage. Ce dont
certains parviennent à tirer profit, en se mettant du
côté du maître supposé.
Supposons qu'il n'y ait pas de maître. Cela passe par la
reconnaissance de l'abîme. Mais c'est difficile : le peuple
c'est bien connu réclame un maître. Ce qui
explique que toute révolution jusque là n'ait
abouti qu'à l'instauration d'une dictature populaire
réactionnaire. Passage par l'extrême peut
être nécessaire à
l'évolution historique. Il semble bien que l'on se soit
heurté à un mur difficile à franchir.
La question est : peut-on le franchir ? A quelle condition,
à quel prix ?
Celui du dépassement de l'humanité. Mais pour
mettre quoi à la place ? Une alliance, c'est-à-dire une croix :
Alliance de la
Division Humaine
C'est la croix sur laquelle brûle le cœur de l'homme au feu de son désir.