Il est possible de penser Antiquitées

Ombre et lumière




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L'ombre


L'inconscient, la boite noire subjective, est un lieu de projection virtuel. On aurait tort d'y rechercher une vérité objective. Aussi pour moi la théorie freudienne (l'œdipe, la castration, etc...) n'a de valeur que comme fiction de savoir. Cela donne une prise sur le symptôme. C'est donc encore de la suggestion. On n'est plus tout à fait dans l'hypnose, mais on n'en est pas tellement éloigné.

Cependant, le pire, ce serait de se servir de ce savoir fictif, pour en déduire une morale et ainsi maintenir le sujet dans l'aliénation, la culpabilité, etc... Ce qui est souvent le cas. Il n'est qu'à citer l'exemple des parents d'enfants difficiles ou psychotiques, invariablement accusés de tous les maux (surtout les mères) par les psychanalystes. Même si de par leur abus même, ces pratiques ont diminuées, il n'en reste pas moins un air de puritanisme exacerbé dans la psychanalyse. Tous ces maîtres juges sont un peu dégoûtant, il faut bien le dire. Comme l'étaient naguère (et parfois encore aujourd'hui) les curés sermonneurs.

Si le sujet arrive en analyse, muni de sa boite noire, il est facile de mettre à cet endroit un savoir et son maître prêts-à-porter, que l'effet du transfert va renforcer. Cela peut avoir de bons résultats, comme toute relation de suggestion clinique. Certains se sentent bien dans le rôle du bon docteur, comme d'autres dans celui du pauvre malade. Mais j'y vois tout de même une aliénation. Il convient dans ces zones obscures d'être clair et tranchant. La relation d'aide, clinique, sociale, humanitaire, est la plus aliénante de toutes, car c'est une aliénation produite au nom du bien. A tout prendre je préfère avoir affaire à un escroc déclaré. Il est de plus bien difficile de contredire l'idéaliste, identifié à la figure du héros. On se heurte là parfois à une sorte de fanatisme indémontable. Il faut alors agir comme avec les fous : faire comme si on y croyait et n'en penser pas moins. Chacun est libre de ses lubies, tant qu'elles ne prennent pas force de loi.

J'ai une angoisse. Celle d'une capture par un autre séducteur. On peut appeler cela de la paranoïa si l'on veut. Mais la naïveté est aussi un défaut. La prudence, la circonspection, l'esprit critique, la distance et la lucidité sont des qualités. Elles permettent souvent d'éviter le pire. L'homme doit se méfier de l'homme. C'est ainsi qu'il devient meilleur. Pas en s'aveuglant par esprit de soumission moutonnier, conformisme, culpabilité ou simple commodité. Il est en effet profitable de s'insérer dans un discours tout fait, de s'abaisser devant des maîtres désignés. Cela ouvre en général pas mal de portes à l'opportuniste. Le récalcitrant, le résistant, est toujours mal vu. Il gène le fonctionnement huilé de l'institution. Il divise. Il fait de la peine et ennui. A l'occasion, on peut en faire un bouc émissaire. Ce sera donc lui le porteur du péché, de la honte, de l'horreur. C'est pourtant de ce côté qu'il faut chercher la vérité : du côté du refoulé.


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La lumière


- Comment la lumière peut-elle venir à la place de l'ombre ?

Il s'agit en fait d'un détachement. Le sujet doit se libérer de ses captures : famille, idéaux, savoirs. Il doit apprendre à cesser de craindre la liberté, la différence, la division, le désaccord. Il doit admettre que l'aliénation morale est la loi générale. Toute émancipation a un prix. Et il peut aller jusqu'au reniement de l'humanité.

La lumière, c'est ce que craignent le plus les hommes. Car elle anéanti toutes les illusions bâties pour assurer le maintient des petites jouissances égoïstes. Celui qui désire la lumière doit mettre au feu tout ce à quoi il s'était jusque là attaché, identifié. C'est son humanité même qu'il doit sacrifier. Jusqu'à parvenir à ce point où le feu demeure comme seule vérité (le point de purification).

Le désir, ce feu, peut prendre toutefois divers aspects. Il peut être une force terrible, destructive. Il peut aussi être dirigé ou canalisé de façon constructive. Toute la difficulté est là. En somme, la force, l'énergie du feu, doit être alliée à l'intelligence et mise au service d'une œuvre. Le feu doit être domestiqué, sauf le respect dû. On ne soumet pas le feu : on s'y allie, au mieux. Le feu donne alors la juste mesure et le vrai sens de la vie. C'est à dire qu'il devient productif, fécond.

Le risque en effet, c'est dans le feu, la sécheresse, la stérilité. Le feu de Seth. Car il y a différents feux. Il s'agit d'en conserver le caractère actif, mais de refuser le caractère destructeur. Ce n'est pas si facile. Devenir un maître du feu implique une sorte de damnation lucidement consentie. Cela veut dire que le maître du feu a le feu pour maître.

- Mais pourquoi et comment suis-je passer de la lumière au feu ?

La lumière ne brûle pas : elle ne fait qu'éclairer. Mais le feu est la cause de la lumière. La lumière n'est qu'un effet secondaire du feu primordial. C'est le feu donc qui est notre véritable principe. Cela doit nous permettre de dépasser le plan visuel qui chez l'homme prétend toujours à la suprématie, au point de devenir aliénant. Le feu est le principe invisible, au-delà de la lumière visible. C'est le père. Pour parvenir au principe, il faut se détacher de l'écran du visible. et donc aussi accepter les ténèbres. Non pas pour s'y perdre. Mais pour y perdre les yeux. devenir aveugle. La canne du désir dirige l'aveugle. Il n'a pas besoin de lumière pour le guider. Dépassement de l'écran imaginaire. découverte de la vérité absolue. Celle qui ne se voit pas. Qui n'apparaît jamais. Parce qu'elle est pure absence. Absente de son lieu même. Et ceci est le vrai détachement.