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Cavalerie
Rome a éradiqué le merveilleux et avec la
République a promu un ordre rationnel
(c'est-à-dire le réalisme impérial)
qui a, heureusement ou malheureusement selon les opinions divergentes,
réussi. Serait-ce que le merveilleux serait lié
au monarchisme et la raison à la république ? Les
révolutionnaires français de 1789 y croyaient
fermement en tous cas. Mais aujourd'hui on arrive en bout de course de
l'idéologie républicaine et les contradictions se
sont accumulées : tout est prêt pour
l'émergence d'un ordre nouveau qu'il reste à
définir et à instaurer. Non plus sur le plan de
l'État Nation, mais au niveau mondial. Non plus dans le
cadre de la monarchie, mais dans celui de la démocratie.
Avec le communisme, il semble qu'on soit allé au bout de
l'idée rationnelle en politique. Et ce bout est un impasse.
C'est pourquoi à mon humble avis, la passe de l'impasse
passe par la résurgence du merveilleux.
Foucault a dénoncé le grand enfermement asilaire.
Heidegger a dénoncé la raison technocratique. La
psychanalyse a permis de repenser la légitimité
de la vérité face au savoir, de la fiction face
à la
réalité. Le terrain est donc largement
préparé pour un retour du merveilleux comme
élément essentiel et nécessaire de la
structure (ou de la culture, ou de la civilisation - mais pas de
l'État qui est une idée définitivement
dépassée).
Le XIXème et le XXème
siècles ont été soumis au culte de
l'État. Ce fut le grand moment de la philosophie
systématique, de la pensée unique à
tendance universalisante et totalitaire, d'inspiration
hégélienne et marxiste. Nous en sommes heureusement revenu,
même si c'est au prix de quelques tragédies
abyssales (dont quelques uns hélas semblent encore
incapables de tirer toutes les conséquences
nécessaires).
Aujourd'hui, à quelle nouvelle promesse de
libération peut adhérer le sujet
aliéné ? Voilà une question bien
contemporaine, et elle le sera, elle l'a
été toujours. On se heurte là
à ce que j'appellerai faute de mieux le Réel.
C'est-à-dire à ce qu'il est impossible de penser
en termes de froide (ou chaude) raison. Certains on cru trouver dans la
religion (je louche du côté de l'Islam) une
solution inespérée, ou plutôt
désespérée. Ce qui a pu
légitimer dans certains milieux radicaux le recours au
terrorisme et à la violence aveugle, c'est-à-dire
à l'horreur pure, pour ne pas la nommer.
Ce n'est pas ma position. La souffrance n'est pas rédimable
par le sang des innocents. Aucun sacrifice n'est susceptible de
racheter la faute ontologique qui nous poursuit depuis le premier jour
de la conscience. Voilà bien le problème. Le
premier pas est de faire alliance avec l'être tel qu'il est,
non de le rejeter comme une ordure infâme. Cela signifie que
le mal n'est pas situable quelque part dans l'autre qui serait
à exterminer, mais dans l'être même. Il
faut donc avoir le courage de le porter en soi, plutôt que de
le condamner chez l'autre : histoire de la poutre et de la paille, bien
connue de ceux qui lisent encore les évangiles
chrétiens.
A partir de là, comment ne pas devenir simplement cyniques,
et c'est un danger qui nous guette également. Un danger non
moins absolu que l'autre, celui de la volonté de
purification terroriste. Je sais que les chrétiens font
valoir que Jésus lui s'est sacrifié pour racheter
le péché commun, ce qui nous libère de
toute dette. Mais pour moi hélas, cette solution nous convie
plutôt au sommeil et à l'oubli qu'à
l'éveil. Car il y a des urgences en ce monde qui ne
sauraient attendre la paix dans l'autre. Il faut donc bien que nous
payions le prix convenu pour sortir du puits. Et ce prix quel est-il ?
Celui à mon avis, particulier et relatif, de l'intelligence
rationnelle. Qui nous emmène à la limite
même de la raison, c'est-à-dire à la
reconnaissance de nos propres limites, jusqu'à la
découverte qu'il y a dans l'être une part
à jamais irréductible au savoir. Et c'est cette
part (inconscient, absolu, transcendance, symptôme) qu'il
s'agit de rendre manifeste, contre tous les discours du
maître institués.
C'est cette part dont il s'agit de faire le sacrifice.