Antiquitées

Druides
20/11/2006



Incompréhensible est la disparition complète, l'effacement, l'occultation des conceptions religieuses des druides. Ils ont été victimes de la politique impériale d'éradication complète et d'une sorte d'effroi populaire à leur évocation. Les druides ont été finalement vaincus par la superstition et la propagande qui a fait d'eux des sorciers adeptes des puissances infernales et des jeteurs de sorts.

C'étaient aussi pourtant des théologiens, des astronomes, des métaphysiciens, capables d'élaborer de vastes et profonds systèmes cosmologiques.

Les auteurs grecs en font des adeptes du pythagorisme. Mais en fait, il faut bien comprendre que tout sépare la mentalité celte des grecs et des romains.

D'abord l'enseignement est transmis sous forme de vers énigmatiques, supposant un art compliqué de l'exégèse, fondé autant sur l'intuition intérieure, ou le pouvoir de discerner l'invisible, que sur l'initiation.

Les complaintes druidiques étaient hermétiques pour les profanes, le sens n'apparaissait qu'au bout d'un long labeur d'analyse et de comparaison, d'assimilation enfin de toute une immense tradition orale dont il ne reste plus rien.

Pour devenir savant alors, il n'était pas rare de voir des hommes demeurer dans le statut d'étudiant pendant vingt ans (la plupart des références sont dans la Guerre des Gaules de César). La tradition strictement orale, imposait d'apprendre par coeur des milliers de vers sacrés. Aucun écrit n'était autorisé et celui qui s'y serait aventuré encourait les plus atroces représailles, non seulement physiques mais aussi morales, spirituelles (malédiction).

L'écrit était considéré comme un instrument magique de contrainte, or la parole sacrée immémoriable ne pouvait faire l'objet d'un traitement dégradant : le respect s'imposait. Elle devait demeurer libre, inconditionnée. La fixer dans les lettres, c'était lui enlever sa dimension transcendante.

La doctrine des druides a donc disparu avec eux, parce qu'il leur était interdit de rien divulguer par écrit. Et ils ont obéi à ce principe, jusqu'à préférer disparaître absolument plutôt que d'espérer que quelque chose se conserve et se transmette au-delà d'eux-même.

On dit qu'ils enseignaient l'immortalité de l'âme et le courage face à la mort, doctrine utile pour une aristocratie guerrière, rude, hautaine, autoritaire et affichant le mépris de tout attachement à la vie.

Les druides établissaient leur calendrier en comptant le temps en nuits et non en jours comme nous le faisons. Enfin ils faisaient du dieu des enfers le père de toute la nation gauloise, rassemblant ainsi mythologiquement ce qui était politiquement et socialement divisé.

Ils avaient pouvoir de justice et pouvaient prononcer sur les récalcitrants l'excommunication suprême, c'est-à-dire l'interdiction des sacrifices, autant publics que privés, dont ils avaient le monopole. Ainsi maintenaient-ils un ordre et une conscience commune et ils étaient partout respectés, exemptés de l'impôt et du service armé.

Leur organisation était centralisée, sous le commandement d'un chef suprême. Il est curieux de constater l'effondrement sans lendemain d'un système si verrouillé. Mais peut-être l'effondrement vient justement d'une rigueur, d'une rigidité excessive : ils furent incapable de s'adapter aux nouvelles donnes imposées du dehors par la conquête romaine, la pression germanique et les bouleversements culturels.

Le monde celte était un monde fragile, un peu comparable au monde des indiens d'Amérique, quand il fut confronté aux envahisseurs chrétiens venus d'Europe. Tout était lié dans leur société : le pouvoir spirituel et le temporel, le cosmos imaginaire et les pratiques quotidiennes, la parole sacrée et l'efficacité des actes matériels.

Tout s'est écroulé parce-que tout était trop fortement lié et cohérent. Une simple brisure à un endroit du système impliquait la décomposition du tout. De tels systèmes ne voient le jour que dans des sociétés autarciques, tournées vers elles-même, coupées du reste du monde, comme sur des îlots détachés du reste de l'humanité. Trop isolés, leurs systèmes culturels ne peuvent qu'exploser au moindre contact avec un élément étranger. Voilà ce qui finalement a causé l'effondrement du monde et de la culture celtique : une volonté de repli dans un espace soustrait à toute influence étrangère.

L'isolement culturel des indiens avait une cause géographique ; ce sont les européens en traversant l'Océan qui ont brisés cet isolement. Pour les gaulois, un élément idéologique s'ajoute peut-être. Jamais un grand empire n'avait vu le jour sur leur sol. Il n'y avait pas en extrême occident de grands systèmes politiques intégrants une multitude de peuples, comme en orient (Chine, Mésopotamie, Égypte).

Si en gaule le pouvoir spirituel était fort, le développement du pouvoir temporel était demeuré élémentaire, fractionné. On a souvent dit que les gaulois furent incapables de s'unir. Ils étaient trop attachés à leur indépendance, à leur particularisme local. La concurrence, la guerre des clochers, était inscrits comme une seconde nature dans l'âme gauloise, c'est-à-dire dans l'âme des élites nobles. C'est Rome qui a trouvé la solution pour eux, en les intégrant dans un grand système politique. Dès lors, la religion druidique, gardienne de l'autorité et de l'unité nationale, ne servait plus à rien. A un système politique basé sur l'indépendance des princes et roitelets locaux, succédait celui de l'empire. Le temps des royaumes indépendants était passé.

Si l'idéologie aristocratique y a perdu, sans doute le petit peuple y a gagné. Il n'avait pas dit César d'existence politique en Gaule. Et cela l'a frappé, lui qui toujours s'est voulu représentant de la cause républicaine, même si c'était une république esclavagiste et impérialiste.

La liberté commune au nom de laquelle Vercingétorix a appelé au rassemblement, n'était en rien une liberté sociale ou démocratique. C'était la liberté des princes. Alors peut-être finalement, la chute de la gaule indépendante a des fondements politiques insoupçonnés : l'idéologie républicaine, du temps de César comme de celui de Napoléon, idéologie devenue impérialiste et militaire, a séduit et conquis les coeurs autant que les cités.

La France révolutionnaire s'est en effet longtemps comparée au modèle républicain romain. Napoléon a interprété cette référence, en remplaçant l'idéal de liberté et d'égalité sociale par l'impérialisme national. Ce faisant il a conduit l'Europe au chaos, pour au moins deux siècles. Chaos dont elle tente à peine de se relever aujourd'hui, avec la construction de la communauté européenne, éternellement en panne.

Est-ce que ce qui nous manque aujourd'hui, c'est un véritable empire ? Je louche du côté des USA. Faut-il appeler à notre secours l'ami américain, pour qu'il vienne mettre de l'ordre dans notre anarchie ? Ou bien faut-il enfin sortir du discours impérialiste et soutenir la possibilité d'une véritable révolution démocratique mondiale ?

Si tel est le cas, c'est plutôt du côté de la Chine qu'il faut loucher. Car seule par sa taille, sa masse, son histoire, sa culture, elle est capable d'imposer un autre ordre mondial que celui impérialiste et capitaliste des USA.

Cependant la démocratie libérale américaine a du bon, parce que du moins, même dans l'inégalité, elle préserve quelques libertés indispensables, libertés que la Chine elle n'a jamais hésité à sacrifier. C'est que les anglo-saxons, bien malgré eux, sont héritiers de ce rêve celte de liberté et d'indépendance politique qui voit dans un état centralisé et fort la pire des menaces. C'est en cela que l'Angleterre, appuyée sur le protestantisme, s'est toujours opposée au culte européen continental de l'empire (romain, germanique, napoléonien, catholique, communiste) ou de l'état (républicain, fasciste, national-socialiste).

A l'impérialisme continental, les anglo-saxons ont opposés la démocratie maritime marchande. Mais aujourd'hui la mer rejoint la terre, le monde est globalisé et ce sont les technologies de la communication et des transports (les nanotechnologies électroniques ou biologiques étant les plus avancées) qui font l'unité du système global. Cela signifie que l'on ne peut plus penser en terme d'espaces géographiques, de territoires : d'où un certain effondrement de l'autorité politique fondée sur l'État Nation.

Est-ce alors la victoire du libéralisme sur l'impérialisme ? Nous sommes nous enfin détachés de la terre, du continent, pour construire un monde plus libre, basé sur le savoir, la technologie, le commerce, les échanges... l'amour ?

Il faut plutôt voir dans notre civilisation contemporaine, l'aboutissement d'un long processus d'intégration des contradictions. La terre se marie avec le ciel, la liberté avec la contrainte, l'intelligence avec le corps, l'esprit avec la matière. Notre système civilisationnel actuel peut-être nommé libéralisme impérialiste. Mais comme le dit Marx (sans le dire), le processus dialectique d'harmonisation des contradictions est le moteur même de l'histoire et en tant que tel il est proprement éternel.

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Le grand chantier des prochains siècles, déjà amorcé, sera l'intégration de la Chine à ce système. Intégration peut-être douce ou violente. Un autre chantier est celui de l'intégration des religions partisanes, réactionnaires et identitaires, dans une communauté éthique internationale fondée sur des valeurs universelles et rationnelles. Il suffit pour cela que nous ne fermions plus les yeux devant l'inacceptable et que nous condamnions fermement et effectivement les pays partisans d'un ordre moral et matériel archaïque. Et ici plutôt qu'à l'Iran, au fond mû par des forces de progrès et qui a su inventer de nouvelles formes politiques, je pense à l'Arabie Saoudite qui stagne à l'âge préislamique sur une mer de pétrole qui fait plutôt son malheur que son bonheur, car cette manne noire sape à la racine toute velléité de changement et d'invention. Là où les ressources naturelles abondent, pourquoi se creuser la tête ? Signalons simplement qu'à l'époque du prophète il en allait tout autrement et il fallait voyager loin pour faire un minimum de profit. C'est l'aridité qui a forgé le caractère arabe. C'est le pétrole qui le pourrit. Mais les pays occidentaux sont comme à genou devant cette manne : est-ce de l'idolâtrie ? Eh bien il est temps d'en revenir à des valeurs un peu moins matérialistes et d'appeler un chat un chat, quitte à fâcher quelques petits princes ridicules. Le mépris est parfois une vertu.

L'histoire au fond est exigeante. Si on rate une occasion, les portes de l'avenir se referment et l'on risque fort de demeurer en enfer, c'est-à-dire dans la répétition éternelle du même. Il faut donc choisir avec courage de s'engager dans les voies du progrès, de s'arracher à l'inertie qui est comme chacun sait la force naturelle prépondérante. Il faut en bref assumer notre destin historique.

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Le temps est venu d'inventer une nouvelle spiritualité adapté à notre monde globalisé. Cela suppose le dépassement des anciennes religions qui ont dans cette zone du moyen-orient leur origine millénaire.

Israël a toujours eu une position particulière face aux empires (Égypte, Mésopotamie, Rome). Malgré sa petitesse, il a courageusement refusé de perdre son identité et ses traditions, en payant le prix fort qui fut celui de son anéantissement (guerre juive et destruction du temple par Titus en 70 ap. jc). Le miracle de la résurrection d'Israël, d'une langue que l'on croyait morte depuis longtemps, après la seconde guerre mondiale, fut l'un des évènements les plus étonnants de toute l'histoire humaine.

Hitler pensait que puisque on ne pouvait intégrer les juifs à aucun système impérialiste, la seule solution pour parvenir à la domination absolue dont il rêvait étrangement, était leur extermination physique. Ce sont les excès de l'idéologie impérialiste, sa version totalitaire, qui ont poussé les juifs à l'entreprise de la résurrection nationale.

Ce faisant, l'attachement d'Israël à un modèle national exclusif et jaloux, n'est pas encore sans poser quelques problèmes à notre monde contemporain. Israël croit non sans quelques raisons à son exception. Ne peut-on pas parler dans son cas de Religion Nationale ?

Or l'erreur des arabes, c'est de croire qu'une telle position est injuste et ne doit pas être admise par la communauté internationale, au nom du principe universel auquel nous devrions tous être soumis, comme cela est inscrit dans leur religion.

On voit ici que le religieux est en fait toujours étroitement lié au politique et il ne peut en être autrement. La religion n'est pas une affaire privée, individuelle. Elle est l'espace métaphysique qui a vocation à intégrer l'ensemble du réel, à l'ordonner et à lui donner sens. Sans cet espace, nous sommes perdus dans le monde, sans repère, sans direction, livrés au hasard et à l'incompréhensible : au chaos. C'est pourquoi je le répète, il est temps aujourd'hui d'inventer une nouvelle spiritualité, adaptée aux conceptions et aux conditions modernes.

Il ne s'agit pas justement d'en revenir au vieux modèle impérialiste, condamnant toute volonté d'indépendance (nationale ou individuelle). Il s'agit peut-être de détacher le religieux, le spirituel, non du politique, mais de l'État. Il s'agirait d'une spiritualité globale, sur-étatique, trans-nationale, mais non impérialiste. Une spiritualité à la fois universelle et libérale (dans le sens originaire du terme). Dans cet effort il ne faut pas hésiter à aller chercher l'inspiration de l'autre côté du globe, en Chine. Car comme je l'ai dit elle devra être intégrée au nouveau système. Mais il ne faut pas croire non plus que la position d'exception d'Israël doive être condamnée au nom du principe universel.

Ce qui doit être effectué c'est plutôt le dépassement des vieilles religions, de La religion, en tant qu'état métaphysique historiquement dépassé. La nouvelle spiritualité devra être rationnelle, universelle, libérale et sur-étatique. L'autorité devra se fonder dans l'esprit, l'appareil logique, matérialisé dans l'appareil technologique et non plus dans l'État territorial. Enfin l'homme ne sera plus dans ce nouveau système, placé au centre du monde. L'idée de destin tragique retrouvera sa place éminente. Ceci annonce l'entrée dans l'ère du post-humain.

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Les druides étaient maîtres de parole, dans toutes ses dimensions et applications : pour la justice, pour les formules rituelles, pour les annonces publiques, pour les incantations magiques, pour les glorifications et les satires, pour la poésie, pour la science... Il faut comprendre que la parole dans la culture celte est équivalente au logos grec : il s'agit de ce qui structure et ordonne le monde. Être maître de parole, c'est donc aussi être maître de mesure, de partage et de justice.
Et cette structure du monde est d'abord constituée rituellement par et dans le sacrifice.

La musique entre aussi naturellement dans la liste des arts druidiques. Comme on voit qu'ils sont plutôt nombreux, il faut comprendre que l'ensemble des druides était divisé en plusieurs spécialités.

Les druides musiciens étaient appelés bardes et ne pratiquaient que les instruments à corde, ce qui prouve leur proximité avec l'orphisme et l'appolonisme. Il faut ici supposer le mythe d'un dieu sacrifié, dont le corps est devenu instrument, représentation concrète de la structure cosmique. Comme Dionysos il est identifié à l'un-tout.

Dans le sacrifice, une communion est établie avec le divin. La parole n'est autre que la chair du dieu, ce avec quoi le monde est constitué. Chanter, incanter, c'est donc faire venir, faire descendre la puissance divine sur Terre. Ainsi à la limite les druides sont les instruments du divin. Le seul problème est qu'on ne sait plus justement distinguer à cet endroit celui qui est l'instrument et celui qui en joue. La frontière entre les mondes divins et humains s'estompe. Le plus difficile dans le sacerdoce, c'est de supporter cette proximité avec le divin. Une longue préparation y est nécessaire et aussi une conduite irréprochable. C'est l'idée de purification qui est essentielle. Mais aussi l'autorité et le courage.

Tout ce qui concerne la science du courage est réuni sous le nom de science rouge. Car la sagesse druidique s'exprime par la voie de la métaphore, de l'image et de l'énigme. Elle n'est abordable qu'après une longue méditation.

Les druides étaient gardiens du savoir et des traditions. Ils faisaient l'unité du monde celte, parce qu'ils connaissaient l'architecture de la structure métaphysique universelle, identifiée à la parole et à la musique.

Je pense que dans l'ère post-humaine, dépassement dialectique de l'ère humaine, c'est également par l'instrument logique, c'est à dire les sciences et les techniques que l'unité sera réalisé. Mais paradoxalement, plus on développe cet instrument et moins il a de prise sur le réel. Cela veut dire que la division doit être intégrée au système global et non plus refoulée ou exclue. Il faut passer d'une logique fondée sur le principe aristotélicien de la non contradiction et du tiers exclu, à une logique surrationnelle les incluant... et les dépassant.

Aujourd'hui en effet comme le démontre l'expérience irakienne, la puissance temporelle échoue à réaliser l'ordre politique désiré. Pourtant on a atteint dans l'ordre du surarmement un seuil effrayant. Mais qui est le symptôme d'une espèce de déconnexion. Il semble donc complètement vain d'en rajouter une couche. La solution n'est pas du côté de la superpuissance militaire : jamais elle n'assurera sécurité et paix aux citoyens.

La puissance temporelle échouera d'ailleurs de même dans le domaine économique, car plus le capital se développe, plus les technologies se complexifient ; plus les cadences de travail s'accélèrent, plus les marges de profit diminuent et plus l'investissement augmente, moins il est efficace. De sorte que l'on se rapproche tangentiellement du seuil du réel, où est prouvé qu'il est l'Impossible.

Même constat du côté de la science, car dans ce domaine, pour continuer à progresser, il faudrait mettre en oeuvre des moyens tellement disproportionnés à nos maigres facultés, qu'il faudra bien y renoncer. Je pense ici aux accélérateurs de particules géants, aux super-télescopes, aux voyages interplanétaires... Nous n'avons pas les moyens matériels d'atteindre l'infini, ou même seulement la vitesse de la lumière qui dans l'espace-temps relatif, est comme une projection de l'absolu qui est au-delà.

L'infini, le réel, l'absolu, l'un, nous ne pouvons les rejoindre que dans la dimension de l'esprit immatériel. Cette division est notre condition : nous n'en sortirons pas, même au prix de milliards de révolutions sociales. Laisser croire le contraire, c'est finalement cela l'opium du peuple.

La division ne se résout pas dans le domaine concret, matériel : elle se transcende. Cela devrait nous éviter le piège de tout impérialisme totalitaire (capitaliste ou communiste). Et également la soumission des consciences au savoir des experts, des savants, des mollah, des rabbins... Car finalement cela nous amène à poser le choix radical entre Vérité et Liberté.

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L'histoire en tant que développement dialectique des contradictions, n'a pas de fin. On ne peut accéder au dernier jour qu'en esprit, par un pur dépassement. Coupure dans le continuum de la répétition du même (ce que d'autres appellent la jouissance). Éclair de la conscience. Libération. Éveil. Paix.