Il est possible de penser Antiquitées

Qu'appelle-t-on penser ?


Toute réalité humaine se situe dans le cercle du langage. Penser signifie appréhender ce cercle et le faire venir au jour de la conscience.

L'homme partage avec l'animal la faculté de rêver, mais ses rêves sont structurés par le signifiant. Le langage n'est donc pas l'élément déterminant du rêve, il n'en est que l'enveloppe formelle. La cause originelle du rêve est ailleurs que dans le langage, précisément dans les affects qui y sont traités et élaborés de façon à maintenir un équilibre psychique positif, à l'abri de l'angoisse et des traumas. Le dormeur désire dormir : un psychisme déstabilisé entraîne un mauvais sommeil.

Le dire de Lacan : "l'inconscient est structuré comme un langage" est erroné. Il faut dire par le et non comme un - langage. Car l'inconscient n'est pas en son essence langage. Il ne l'est que par sa forme et simplement parce qu'il s'agit d'un élément de la réalité humaine, toute entière structurée par le langage.

La pensée qui est aussi un élément de la réalité humaine est par là elle aussi englobée dans le langage. Mais elle n'est pas essentiellement langage, même si ce dernier est son moyen d'expression privilégié, encore que non exclusif : il y a aussi les images, les impressions, les sentiments, les ressentis qui sont tout autant que le langage, des matériaux de la pensée. Ceci parce-que l'homme habite un monde réel, non réductible au langage et qu'il connaît de façon immédiate à travers ses sens, physiquement, intuitivement, parce qu'il est une partie intégrante du monde.

Penser c'est donc d'abord faire venir le monde en soi : l'accueillir. Mais il n'est pleinement accueilli que dans et par le langage. Parce-que le langage libère le monde des attachements subjectifs de l'homme tout en en préservant l'existence.

Ainsi par le langage le monde (le réel) cesse d'être nié ou refoulé : il est accepté. Parce-que l'homme n'a plus besoin de s'en préserver, il peut intégrer le monde en lui, à l'intérieur. C'est la fin de l'aliénation. Le monde est reconnu et réalisé en un lieu subjectif où il trouve accueil et repos. Et cela c'est aussi pour l'homme la fin de l'angoisse.

Le langage libère le monde de l'aliénation dans le subjectif (le moi). Pourtant le langage ne sépare pas, il n'est pas coupure entre l'homme et le monde. Au contraire il est ce qui permet l'intégration du monde comme extérieur dans l'intérieur, c'est à dire dans un lieu défini.

Le langage n'est ni du dedans ni du dehors. Il n'est pas non plus entre-deux ou médiation. Il est UN.

C'est l'Un-logos qui est le tout. Ce qui jamais ne sombre (Héraclite).

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Dans notre chemin vers la pensée, nous avons rencontré le langage. Qu'est-ce donc que le langage ?

C'est un système de signes ordonnés logiquement, c'est à dire avec des règles propres au langage. D'ailleurs à prendre les choses dans leur aspect concret, il n'y a pas de langage, mais seulement des langues : des langages. Le langage comme La femme n'existe pas (cf. Lacan).

Chaque langue est un système logique autonome, système qui s'apprend. Une fois que l'homme a appris une langue, il l'a acquis et peut l'utiliser. L'homme n'invente pas la langue, mais il peut la modifier, car au-delà de la langue, il y a la logique, le jeu des règles, que l'homme a le pouvoir de modifier et d'inventer à l'infini.

Le langage n'est qu'un système de signes parmi d'autres, par exemple les mathématiques, ou les commandes de programmation informatique. Le langage, c'est un système logique approprié à la parole. Le monde humain est englobé dans le Logos, qui est cette propriété de systématisation logique, au plan le plus général. Et tout l'univers humain est ordonné logiquement, même chez les peuplades les plus "sauvages". En ce sens, une vie débarrassée de la Loi est impossible : il n'y a pas de Liberté Naturelle. L'homme est toujours d'emblée un être de règles et de lois. Cela prends d'abord la forme de rites et de traditions religieuses, avant de devenir plus abstrait sous forme de raison et de logique pure, notamment mathématique.

Quand la logique s'est développé jusqu'au niveau de la forme pure, la vie privée parait plus libre, mais c'est parce-que les systèmes logiques dans lesquels l'homme est inscrit, l'enserrent de partout comme une grande toile (le fameux world wide web). Dans les sociétés primitives, la liberté individuelle est moindre, mais l'organisation logique du monde a pris peu d'expansion. De sorte qu'entre liberté et contrainte, le système global est toujours équilibré.

Toujours ? La remarquable réussite de la  société industrielle post-moderne, semble pourtant introduire un déséquilibre irrémédiable dans le monde. Allons nous périr de notre succès ? Pas si nous avons la sagesse d'introduire ou de conserver dans l'accord, le désaccord. Le mouvement, la vie, sont produits par le désaccord. Un système trop accordé, c'est la mort, la fixité, le même qui l'emportent sur la différence et le devenir.

L'hyper-puissance est un danger. Les guerres ne peuvent que devenir de plus en plus dures, car le désaccord a de plus en plus de mal à résister à l'accord. Mais si l'accord l'emporte enfin, c'est la fin. Voilà le danger majeur de notre monde : la fin de l'histoire, c'est la catastrophe !

Il ne faut pas chercher à étouffer les contradictions, mais s'en servir comme de forces dynamiques productives d'avenir, d'histoire. Il ne faut pas s'attrister de l'état de division du monde, mais au contraire s'en réjouir, car cela est le signe de sa bonne santé.

Sans contradiction, point de salut. Sans division, point d'avenir. La division est l'avenir de l'homme. Et la mort, l'avenir de la vie...