Toute réalité humaine se situe dans le cercle du
langage. Penser signifie appréhender ce cercle et le faire
venir au jour de la conscience.
L'homme partage avec l'animal la faculté de rêver,
mais
ses rêves sont structurés par le signifiant. Le
langage
n'est donc pas l'élément déterminant
du
rêve, il n'en est que l'enveloppe formelle. La cause
originelle
du rêve est ailleurs que dans le langage,
précisément dans les affects qui y sont
traités et
élaborés de façon à
maintenir un
équilibre psychique positif, à l'abri de
l'angoisse
et des
traumas. Le dormeur désire dormir : un psychisme
déstabilisé entraîne un mauvais sommeil.
Le dire de Lacan : "l'inconscient est structuré comme un
langage" est erroné. Il faut dire par le et non comme un
- langage. Car l'inconscient n'est pas en son essence langage.
Il
ne l'est que par sa forme et simplement parce qu'il s'agit d'un
élément de la réalité
humaine, toute
entière structurée par le langage.
La pensée qui est aussi un élément de
la
réalité humaine est par là elle aussi
englobée dans le langage. Mais elle n'est pas
essentiellement
langage, même si ce dernier est son moyen d'expression
privilégié, encore que non exclusif : il y a
aussi les
images, les impressions, les sentiments, les ressentis qui sont tout
autant que le langage, des matériaux de la
pensée. Ceci
parce-que l'homme habite un monde réel, non
réductible au
langage et qu'il connaît de façon
immédiate
à travers ses sens, physiquement, intuitivement, parce qu'il
est
une partie intégrante du monde.
Penser c'est donc d'abord faire venir le monde en soi : l'accueillir.
Mais il n'est pleinement accueilli que dans et par le langage.
Parce-que le langage libère le monde des attachements
subjectifs
de l'homme tout en en préservant l'existence.
Ainsi par le langage le monde (le réel) cesse
d'être
nié ou refoulé : il est accepté.
Parce-que l'homme
n'a plus besoin de s'en préserver, il peut
intégrer le
monde en lui, à l'intérieur. C'est la fin de
l'aliénation. Le monde est reconnu et
réalisé en
un lieu subjectif où il trouve accueil et repos. Et cela
c'est
aussi pour l'homme la fin de l'angoisse.
Le langage libère le monde de l'aliénation dans
le
subjectif (le moi). Pourtant le langage ne sépare pas, il
n'est pas
coupure entre l'homme et le monde. Au contraire il est ce qui permet
l'intégration du monde comme extérieur dans
l'intérieur, c'est à dire dans un lieu
défini.
Le langage n'est ni du dedans ni du dehors. Il n'est pas non plus
entre-deux ou médiation. Il est UN.
C'est l'Un-logos qui est le tout. Ce qui jamais ne sombre
(Héraclite).
***
Dans notre chemin vers la pensée, nous avons
rencontré le langage. Qu'est-ce donc que le langage ?
C'est un système de signes ordonnés logiquement,
c'est à dire avec des règles propres au langage.
D'ailleurs à prendre les choses dans leur aspect concret, il
n'y a pas de langage, mais seulement des langues : des langages. Le
langage comme La femme n'existe pas (cf. Lacan).
Chaque langue est un système logique autonome,
système qui s'apprend. Une fois que l'homme a appris une
langue, il l'a acquis et peut l'utiliser. L'homme n'invente pas la
langue, mais il peut la modifier, car au-delà de la langue,
il y a la logique, le jeu des règles, que l'homme a le
pouvoir de modifier et d'inventer à l'infini.
Le langage n'est qu'un système de signes parmi d'autres, par
exemple les mathématiques, ou les commandes de programmation
informatique. Le langage, c'est un système logique
approprié à la parole. Le monde humain est
englobé dans le Logos, qui est cette
propriété de systématisation logique,
au plan le plus général. Et tout l'univers humain
est ordonné logiquement, même chez les peuplades
les plus "sauvages". En ce sens, une vie
débarrassée de la Loi est impossible : il n'y a
pas de Liberté Naturelle. L'homme est toujours
d'emblée un être de règles et de lois.
Cela prends d'abord la forme de rites et de traditions religieuses,
avant de devenir plus abstrait sous forme de raison et de logique pure,
notamment mathématique.
Quand la logique s'est développé jusqu'au niveau
de la forme pure, la vie privée parait plus libre, mais
c'est parce-que les systèmes logiques dans lesquels l'homme
est inscrit, l'enserrent de partout comme une grande toile (le fameux
world wide web). Dans les sociétés primitives, la
liberté individuelle est moindre, mais l'organisation
logique du monde a pris peu d'expansion. De sorte qu'entre
liberté et contrainte, le système global est
toujours équilibré.
Toujours ? La remarquable réussite de la
société industrielle post-moderne,
semble pourtant introduire un déséquilibre
irrémédiable dans le monde. Allons nous
périr de notre succès ? Pas si nous avons la
sagesse d'introduire ou de conserver dans l'accord, le
désaccord. Le mouvement, la vie, sont produits par le
désaccord. Un système trop accordé,
c'est la mort, la fixité, le même qui l'emportent
sur la différence et le devenir.
L'hyper-puissance est un danger. Les guerres ne peuvent que devenir de
plus en plus dures, car le désaccord a de plus en plus de
mal à résister à l'accord. Mais si
l'accord l'emporte enfin, c'est la fin. Voilà le danger
majeur de notre monde : la fin de l'histoire, c'est la catastrophe !
Il ne faut pas chercher à étouffer les
contradictions, mais s'en servir comme de forces dynamiques productives
d'avenir, d'histoire. Il ne faut pas s'attrister de l'état
de division du monde, mais au contraire s'en réjouir, car
cela est le signe de sa bonne santé.
Sans contradiction, point de salut. Sans division, point d'avenir. La
division est l'avenir de l'homme. Et la mort, l'avenir de la
vie...