Il est possible de penser Antiquitées

La dimension métaphysique


Mon expérience de la dimension métaphysique n'est pas intellectuelle ou conceptuelle, mais bien physique et corporelle. Je m'efforce cependant de la penser rationnellement, car je crois que c'est important de la comprendre.

Au départ il s'agit donc d'un état subjectif. On pourrait d'ailleurs le définir comme pathologique. Mais à mon avis mieux vaut simplement le définir comme extra-ordinaire.

Car qu'est-ce qui nous prouve que ce n'est pas l'état dit normal qui est pathologique ? La quantité ne fait pas la qualité, on le voit par exemple en politique, où la démocratie n'est pas forcément une voie de salut, contrairement à ce qu'affirment les propagandistes bornés du libéralisme.

D'après l'expérience commune de l'humanité, on sait d'ailleurs qu'il arrive relativement souvent que des individus, voire des groupes, aient l'expérience d'autres dimensions cosmiques.

Ces dimensions peuvent être construites selon un schéma traditionnel, mythique, poétique ou religieux. Elles sont souvent différenciées et particularisées, portant la marque subjective des individus qui les ont rendus manifestes. Souvent des divisions, des branches apparaissent. Un mouvement éclate et essaime en une multitude de groupuscules, dont l'un peut-être deviendra hégémonique et finira par absorber tous les autres. Parfois la tendance hégémonique fait partie des fondements doctrinaires de la secte, comme dans l'Islam, la religion de l'Un absolu. L'Islam n'étant que l'un des développements dialectiques possibles de la religion mosaïque originaire d'Israël.

On connaît la proximité culturelle, sociale, spirituelle de l'Islam originaire avec le ferment judaïque. Proximité d'ailleurs gênante, dont l'Islam ne cessera par la suite de vouloir s'émanciper, jusqu'à prétendre recréer l'histoire à partir de son unique point de vue, c'est-à-dire en niant son propre caractère historique. L'Islam est ainsi de plus en plus devenu une religion intolérante, bornée, appauvrissante. Car tout ce qui réduit la diversité du champ humain est appauvrissant.

Je disais donc que l'expérience de la dimension métaphysique est un fait subjectif et en tant que tel, susceptible de prendre de multiples formes, en lien avec la culture et la position du sujet en question. Dire qu'un fait est subjectif, ce n'est pas lui enlever son authenticité, sa vérité. Le subjectif est à mes yeux aussi réel que l'objectif. Sinon plus. Car souvent ce qu'on appelle monde objectif n'est en fait qu'une construction subjective.

Ainsi certains se contentent de qualifier les expériences mystiques ou extatiques de délires et refusent de les considérer sérieusement. C'est qu'encore une fois, ils réduisent le monde à l'expérience subjective qu'ils en ont. Ils font de leur position relative le critère absolu de la réalité qu'ils nomment objective ou scientifique. Je me méfie de ceux qui parlent de façon entendue d'évidences indiscutables. Tout est discutable et surtout les évidences. N'oublions pas de mettre notre grain de sel ou de sable dans l'engrenage trop bien huilé de la machine à tuer la pensée. Cela en principe la fait exploser et s'exhale alors une mauvaise odeur : c'était la pestilence qui devait être évacuée. Et pour évacuer la pestilence, il faut crever l'abcès où elle réside. C'est de la chirurgie mentale.

Selon ma propre expérience, il y a une dimension de pureté absolue, dimension physique, matérielle, à laquelle peut accéder l'âme. La pureté dont je parle ici n'est donc pas un concept moral, mais une substance. Sans originalité, je la classe du côté de l'éther ou du feu. L'âme qui accède à cet état substantiel devient donc éther ou feu.

Cependant pour accéder à cet état, il faut d'abord que l'âme sorte de l'état où elle était auparavant. C'est-à-dire qu'elle doit d'abord être mise en mouvement par quelque cause. Or tant que l'âme ignore ou n'a pas fait l'expérience de l'état de pureté, elle ne peut le désirer comme quelque chose qu'elle connaîtrait. Ce n'est donc pas par désir de cet état qu'elle se met en mouvement. Mais plutôt, c'est cet état qui imperceptiblement, inconsciemment, va prendre le dessus pour finalement l'emporter et investir toute la place. Ce mouvement n'est pas provoqué volontairement par le sujet. Ce sont des forces qui agissent en lui, des forces élémentaires, aussi bien physiques que mystiques. C'est-à-dire que ces forces n'obéissent pas à la division rationnelle du monde cartésien : le monde objectif matériel et passif d'un côté (le sujet), le monde subjectif qui l'ordonne rationnellement de l'autre (le maître).

Pensée et matière, sujet et objet se mêlent. La substance élémentaire est aussi bien un être individuel qu'une puissance physique. Le monde est structuré comme un mythe. La tache de l'homme alors est de comprendre les Signes lui permettant de ne pas s'égarer dans le labyrinthe. Ces Signes ne sont envoyés par personne, mais sont la marque reconnaissable de certaines qualités, substances, situations. Apprendre les Signes c'est donc apprendre à s'y reconnaître dans l'autre dimension, pour ne pas s'y égarer. Car c'est comme si on était plongé dans un inconnu absolu. L'infini est devenu la seule dimension. Dans ce monde, il n'y a plus qu'un chemin à suivre. Tout est simplifié. Il suffit de suivre les Signes. Il n'y a plus de doutes ni de questions (on est ici je le rappelle dans la dimension de l'Absolu).

Le trouble apparait du côté du sexuel. Le sexe introduit un trouble dans la dimension absolue. On pourrait dire aussi une division. Les choses ne sont plus aussi claires, parce-que le désir exprimé par le sujet est précisément subjectif et ne participe pas de cette dimension pure, éthérée ou est plongée l'âme. Le sexe est indépendant de tout ça. Donc dans ce processus de métamorphose morale, c'est uniquement la psyché qui est touchée. Et le sexe demeure en dehors de sa sphère d'influence chimique. Par là il est peut-être le réel qui demeure au-delà de la perturbation chaotique du délire, où l'équilibre psychique est rompu.

Cette rupture est autant catastrophique que constructive. Tout dépend de ce qu'on en fait. Le délire n'est négatif que si on ne s'en sert pas pour guérir et faire évoluer le sujet autant que son milieu.

Dans le délire en effet, ce n'est jamais l'individu seul qui est concerné. D'ailleurs toutes les transes de guérison s'adressent d'abord à une communauté constituée. C'est ce qui fait la différence entre nos fous et leurs chamanes. Je veux dire que dans nos sociétés, il y a de moins en moins de communautés constituées, de sorte que le délire devient impuissant à guérir, à changer quoi que ce soit de la réalité humaine, politique ou sociale. Le délire isolé devient alors folie.

Notre société est en effet organisée à partir du présupposé économique : travail/argent/marchandises (la sainte trinité matérialiste). Elle n'est pas organisée à partir de bases symboliques. Donc le délire quand il se déclenche devient impuissant à changer quoi que ce soit à l'organisation sociale, car celle-ci est coupée du substrat psycho-symbolique "naturel" ou inné. Lieu où depuis la nuit des temps et chez les peuples primitifs encore, l'homme a puisé les forces de sa regénération spirituelle et matérielle.

L'organisation rationnelle du monde, c'est-à-dire l'organisation marchande, capitaliste, équivaut à une organisation comptable : le réel est réduit à sa dimension quantifiable. Il n'y a plus d'ombre, plus d'ambiguïté dans le dire. C'est bien le propre des mathématiques d'être un langage universel et dont la particularité est d'être toujours vrai. Ce faisant en évacuant l'ombre, il apparait que l'homme a évacué de lui-même, à l'intérieur, une part subjective qui ne peut plus s'exprimer dans le monde, qui y est refoulée et censurée. Dès lors se développent des pathologies qui ne peuvent que devenir de plus en plus graves et nombreuses si les choses continuent ainsi.

Le délire est ce moment magique où le monde imaginaire subjectif cesse d'être étanche et séparé du monde réel. Les deux fusionnent et de ce fusionnement peut naître un nouvel ordre social symbolique objectif. C'est ainsi que travaille le chamane. Il oeuvre dans le réel à partir de la dimension imaginaire. Mais cette oeuvre n'est pas stérile : elle a des fruits objectifs. Ici nous sommes aux limites de la science, où commence la pensée. Nous avons encore beaucoup de choses à apprendre.