Je suis un corps conscient Antiquitées

Les yeux


Être observé sans voir l'observateur, ou voir sans être vu : topologie d'une aliénation imaginaire de l'être captif du regard omniscient du maître, du psychanalyste, du supposé savant. Déjà l'enfant inconscient qui baigne dans son liquide amniotique, est livré au regard obscène des observateurs, à travers l'instrument de l'échographe.

Pour moi la définition de l'inconscient c'est ça : celui qui est inconscient d'être à la place d'un objet du regard. Se réveiller, c'est prendre conscience de ce regard. Que faire de son être pour l'image ? Se donner en spectacle ? Se cacher ? Qu'y a-t-il à voir d'abord ?

Freud a identifié le sexe avec l'objet ultime du regard : ce qui est à voir comme ce qui se dissimule. L'objet interdit. Être vu nu, dévoilé entièrement. Angoisse ou désir ? Traumatisme en tous cas. Comme si l'autre, l'Autre du regard avait découpé sur moi, sur ma chair, une part devenue sienne. Commencement de l'aliénation : je ne m'appartiens plus. Arrachement à l'innocence, à l'inconscience qui est le commencement de l'enfer.

Ce sexe interdit serait le symbole de ma culpabilité : la part interdite. Et celui qui la dévoile, qui la met à jour en moi, c'est le porteur du regard. Je ne me savais pas coupable : savoir maudit. Depuis Adam au moins.

Le regard serait alors à identifier avec la cause de la division subjective (conscient/inconscient). Là où je sais que je suis regardé, je ne suis plus un : une partie de moi est aliénée dans le regard de l'autre : c'est la part de l'inconscient.

Je suis divisé. Mais je peux faire alliance avec cet être divisé que je suis : alliance de la conscience divisée. Et par là, il s'agit d'intégrer l'autre en moi. C'est à dire d'intégrer ce regard qui est cause de ma division intime (à la place du sexe, là où précisément le regard est interdit). Par là j'échappe à l'identification à un moi imaginaire, à un moi qui ne serait qu'image : accès au symbolique et dépassement de l'aliénation au regard.

C'est l'entrée dans la loi par la porte de la castration. Par là j'échappe à l'enfer du regard, aux yeux duquel je suis "coupable". Je cesse de m'identifier au moi coupable. Le sujet de la honte. Celui qui porte sa honte visible aux yeux de tous (les autres, le chœur de la tragédie moderne).

Suprême Marilyn, idole sacrifiée au dieu-regard d'Hollywood. Paix à ton âme innocente. Nous nous souvenons de toi et nous te t'oublierons pas. Tu es la grande victime de l'industrie du vice et de l'argent magnifiés. Mais pourrons nous un jour nous réveiller, prendre conscience de cet enfer où le hasard nous a plongé ? Quel est le prix à payer ? N'est-ce pas celui que paya Œdipe ?

Voici ce que crie celui qui se réveille :
- Arrachez-moi les yeux !