Il est possible de penser Antiquitées

Questions


Qu'est-ce que le mal ?

On peut être tenté de répondre à la question du mal par une réponse qui balaye toutes les ombres. Elle peut être de type politique, moral, religieux ou psychanalytique. L'expérience nous enseigne pourtant la prudence. Celui qui croit détenir le remède du mal est fatalement conduit au totalitarisme, au terrorisme.

Certes il faut se révolter, mais il faut se garder de croire que cette révolte sera la dernière, la solution finale. Demain quand vous et moi nous ne serons plus là, le monde continuera de tourner et tant que le monde durera, le mal durera.

La lumière aveugle. Il faut respecter la part d'ombre. L'idéaliste est souvent un insupportable égoïste, un être immature, qui refuse de se plier à la réalité. Non pas que cela soit nécessairement mauvais. Nous sommes plongés dans l'ambiguïté, le paradoxe et la contradiction. Toute affirmation n'est vrai ou fausse que relativement à un contexte. Il n'y a pas de vérité absolue.

Ou si on veut tout de même en saisir une, ce ne sera qu'à la condition d'accepter la perte de la dimension du sens, par la voie des nombres mathématiques qui eux ne reflètent plus que l'exactitude des mesures de l'observateur. Le monde réduit à de l'objectivable, c'est-à-dire identifié au regard, ce n'est pourtant pas notre tasse de thé.

Le problème, c'est la perte d'épaisseur, de mystère : il est bon que le monde demeure opaque au regard. Là où il y a identification, c'est-à-dire savoir supposé, le danger croît. Les images du fœtus obtenues par échographies m'ont toujours remplies de malaise. Je vois quelque chose de malsain dans l'intrusion d'un oeil dans l'espace de la matrice. Quoi de plus sacré que le processus de la genèse de l'être ? Or les gens regardent ça comme des photos de famille banales et les médecins sont fiers de pouvoir leur offrir ce petit spectacle, fruit de leur techno-pouvoir.

Il reste à opposer à la techno-réalité, la réalité poétique, la surréalité. Ce qui exige pas mal de travail et d'art. Pour créer un espace intérieur libre, détaché du regard obsessionnel qui a envahi le monde et pas que de manière métaphorique.


Qu'est-ce que la fête ?

Walter Benjamin dit que la fête est une remémoration rituelle, une célébration de l'être collectif dont l'essence se perpétue à travers des formes sociales instituées transmises de génération en génération.

Mais la fête n'est pas que mémoire. Elle implique aussi la perte de soi dans le collectif, via l'ébriété, la perte de mesure et de conscience. Toute fête a un caractère dionysiaque, c'est-à-dire sacré.

La fête implique aussi la joie. Mais cela peut aussi tourner à la querelle, car les tensions sociales doivent s'exprimer et dans le paroxysme de l'excitation festive, elles sont ravivées. On peut dépasser cela par le moyen de la catharsis, soit de la mise en scène théâtrale. Pour cela il faut oser se servir de la dimension symbolique comme d'une réalité poétique, ainsi que l'enseigne Alexandro Jodorowsky, l'un des créateurs du mouvement panique (avec Arrabal et Topor), réalisateur de films et scénariste de BD (L'Incal).

Une fête sans joie n'en est pas une. La joie est célébration de l'être, accord retrouvé avec lui en nous, réconciliation, alliance. Ce que nous sommes a toujours en effet une dimension transcendante. L'individu, le moi, ne sont pas principes de l'être. Sans cette joie de la réconciliation avec l'être transcendant qui est en lui, l'individu est triste, séparé de sa source, en exil. Mais cet exil n'est pas une fatalité, une norme indépassable, ainsi que le prétend la psychanalyse. C'est une maladie de l'âme. Or le sujet doit apprendre à s'en affranchir, au lieu de s'y résigner.

Pour cela il doit d'abord commencer par réaliser les énormes potentiels de vie, de désir, d'amour, de puissance d'être, de transformation et de création qui sont naturellement en lui. Il s'agit d'être amené à découvrir la part refoulée de l'être de lumière qui souffre de ne pas être entendu, reconnu, aimé. Le sujet peut y être conduit par une démarche de type initiatique. Il faut de l'art, de l'esprit et du cœur pour y parvenir. Ce n'est pas facile, ce peut être dangereux. Cela passe aussi par l'expérience de la douleur. Car ce n'est pas à la folie de la toute puissance qu'on aboutit, mais à la reconnaissance de la faiblesse qui fait la véritable valeur de l'être humain : son cachet d'authenticité.

Le temps de la fête est un temps suspendu hors du temps : éternel retour de l'éternel. Dans ce cadre spatio-temporel extraordinaire, l'être est transcendé. Il y a communion avec l'origine, une origine qui ne cesse pas d'être présente et qui n'est pas à comprendre uniquement dans la dimension du temps, mais aussi dans la dimension ontologique.

L'originel (arché en Grec qui est la langue originelle de la philosophie), c'est le génétique, la source de l'être, sa cause. C'est l'être absolu et éternel qui est au-delà des formes relatives, comme leur principe actif : la puissance absolue.


Pourquoi est-ce qu'on se suce le pouce ?

Sucer son pouce permet de créer un espace corporel clos, sans solution de continuité : un en soi séparé de l'extérieur. Cela est un remède contre l'angoisse et permet de s'endormir tranquillement.

Le pouce dans la bouche, c'est la correspondance du dehors et du dedans : apaisement de la pulsion tyrannique. Le sujet est alors structuré à partir de l'oralité. La bouche est le gouffre pulsionnel autour duquel s'organise le monde subjectif.

Cela nous amène à penser la structure idéale comme cercle. C'est un modèle topologique qui à travers les différents avatars de la pulsion (orale, anale, sexuelle, mentale) reste toujours le même. Ainsi les constructions symboliques abstraites, considérées comme manifestations de la supériorité de l'intelligence humaine, ne seront que la reproduction métaphorique de la structure de base déjà présente chez le nourrisson. Il s'agit donc d'une structure ontologique, liée à l'être même et qui n'a rien à voir avec le degré d'intelligence ou d'évolution.

Il peut arriver que cette structure (le cercle fermé) ne soit pas constituée. Le sujet ne possède pas alors de centre et se perd dans l'ouvert : il y a psychose. Le manque de clôture peut aussi être avéré comme simple traumatisme, soit ce qui a fait irruption dans l'intérieur et brisé les barrières défensives. Mais dans ce cas, le modèle du cercle est déjà bien intégré. Il suffit donc de résoudre le traumatisme, comme on résout une fracture osseuse. Un symbole quelconque venant prendre la place de la fracture. Dans la psychose, ce qu'il s'agira d'intégrer, c'est le modèle même du cercle : toute la structure.

La psychanalyse nous a apprit l'importance du père dans l'effectuation de la structure. Non seulement il est le cercle, le tout englobant, mais il est aussi la métaphore bouche-trou, la clef qui autorise l'intégration et le dépassement du traumatisme perturbateur. Il fait donc le lien entre le dedans et le dehors, le continu et le discontinu. Il permet au sujet d'habiter le monde sans s'y perdre, à partir d'un lieu différencié.

Le psychotique n'a pas ce recours. Son moi est chaotique : il manque d'un bord. Certaines thérapeutiques proposent de lui en donner un par la méthode de l'enveloppement corporel (linges mouillés). Certaines blessures peuvent donner conscience d'une limite corporelle. N'importe quoi peut servir de contenant supplétif, par exemple un ordinateur : il s'agira alors de contenir des idées, d'un contenant mental.

Dans la psychose il s'agit de travailler à la création artificielle d'une structure contenante qui n'existe pas d'emblée. Il s'agit de donner au sujet un lieu propre qu'il puisse investir narcissiquement. Si le moi de certains psychotiques prend des dimensions si disproportionnées, c'est précisément parce qu'ils manquent de limites. Pour pallier à cette insuffisance d'égo, ou plutôt à cette absence, ils peuvent s'identifier à des personnages mythiques, à des héros, des archétypes qui leur confèrent un semblant d'être. C'est-à-dire une individualité.


Synthèse :

Le regard est l'objet traumatique qui vient faire trou dans la structure, là où le nom du père est appelé pour faire solution à l'angoisse. Si le nom du père fait métaphore, cela veut dire que c'est lui (lorsqu'il opère) qui est destiné à faire fonction de contenant structurel. Dès lors le sujet habite un monde symbolique, détaché du réel, tout en y étant intégré.

Dans la fête où se remémore l'origine, où elle devient même présente, le sujet fait expérience de son appartenance à un temps autre. Un temps sans durée, sans commencement ni fin. C'est le cercle parfait, le cercle de l'alliance : manifestation de la structure du monde.

Alliance de la Cause Éternelle

Ce qui est le contenant supplétif à ma psychose latente. Mais pas seulement...