Le monde n'existe pas de
façon naturelle :
il est constitué, il est fondé. Dans la
tradition, il est
fondé par le sacrifice de ce que nous avons
appelé la
valeur ajoutée.
L'idée d'un monde naturel est contemporain de
l'avènement
de la science, rendu possible grâce à la
réussite
du monde occidental chrétien, impérialiste,
universaliste, et rationaliste. Réussite si
éclatante que
l'on a oublié que ce monde avait été
constitué : on l'a confondu avec la nature et ses fondements
sont par là devenus impensables. La science
représente
par excellence cet oubli de la fondation : elle n'est plus que
pensée opérative. La pensée qui se
rappelle de la fondation, qui la prends en compte dans le compte, c'est
la pensée méditante (cf. Heidegger).
Si on a oublié la dimension artificielle du monde humain,
son
aspect construit, on s'est en même temps interdit de penser
l'en-dehors absolu que représente la nature.
L'erreur de la science, c'est de confondre le monde (comme tout
construit, ordonné logiquement et rationnellement) et la
nature.
La nature, c'est ce qui échappe à l'accaparement,
à l'assimilation, à la domestication : ce qui
demeure
sauvage, irrationnel, ingérable. Assez proche du concept
lacanien de réel.
Le monde n'est pas tout : il y a toujours un en-dehors
irréductible. Cependant, la domination occidentale est
devenue
si absolue, que le réel lui-même, cet en-dehors
essentiel, risque de
disparaître. Comment lutter contre la puissance
hégémonique à prétention
absolue du monde
technologique occidental ?
Il faut inventer une nouvelle alliance avec l'en-dehors du monde
humain, soit avec ce qui n'y est pas inscrit, ou
inféodé.
Il faut accepter que demeure une part non colonisée,
sauvage,
voire vierge de l'être. Le côté
inviolable de la
nature, c'était la déesse Artémis qui
le
représentait chez les grecs.
Les grecs ont fait de certaines régions du réel
des
dieux, pour représenter à travers le culte rendu
à
leurs images, l'alliance conclue par eux avec l'autre que l'humain qui
habite aussi le lieu de l'homme. Ce type de religion se retrouve
partout en
méditerranée et en Afrique. Elle suppose le culte
de
possession.
Dionysos est un dieu qui possède ses victimes ou ses
élus. S'il est reconnu et accepté, il accorde sa
grâce et tout va bien, mais si on le refuse, il provoque la
folie
et la destruction de l'ordre social. Toute religion de ce type doit
donc être comprise comme tentative d'intégrer
l'en-dehors
(des fragments du réel sauvage) à l'en-dedans (le
monde
humain ordonné). Mais cette intégration
n'est pas
une négation de l'aspect irréductible du
réel : il
s'agit de reconnaître et de respecter, de s'allier avec, pas
d'assagir ou de dominer.
Une place est faite au-dedans pour y accueillir un
représentant
ou une représentation, un symbole ou un semblant du
dehors qui est le réel.
Cela veut dire que l'accueil du réel dans le cercle humain
passe
par le signifiant, la représentation symbolique (et le
masque).
Parce-que
le
monde humain est un monde symbolique, on ne peut y intégrer
que
des signifiants. C'est pourquoi on peut dire que les premiers hommes
commencent avec l'art animalier des grottes préhistoriques,
car
avant, l'homme est totalement inconscient
et ne s'est pas
constitué un monde à part,
séparé de la
nature : il n'en est encore qu'un élément
indifférencié, un
animal.
Aujourd'hui, nous devons prendre conscience de deux choses :
1) de l'aspect construit, artificiel du monde humain.
2) du fait que cette construction est d'ordre symbolique.
Alors nous pourrons avec la nature (pas les petits oiseaux qui chantent
mais le réel !) avoir un rapport plus juste, en
réduisant
la raison à sa place relative et en rendant à
l'absolu la
sienne, c'est-à-dire en le libérant de l'empire
oppressif
de la raison.
***
Bien sûr très lointainement, originairement, on
peut apercevoir l'identité de la valeur ajoutée
sacrifiée pour faire lien social et le passage du naturel au
culturel, via la représentation symbolique de l'animal qui
correspond ni plus ni moins qu'à sa mise à mort
et à son dépeçage.
La première intégration du dehors au dedans
consiste à le manger. Tout repas suppose un partage, une loi
de partage de la victime qui ainsi d'être naturel passe au
statut de symbole social.
Mais pour comprendre ce qu'est le symbolique, il faudrait
être situé quelque part en dehors, dans une
position absolument surplombante ou antécédente
qui n'existe pas, car nous sommes tous à priori dedans.
Cette limite structurelle de la raison deviens cependant un outil
précieux quand elle est intégrée. Elle
oblige à une certaine humilité et nous
libère de la folie de croire tout pouvoir saisir dans et par
l'appareil rationnel. Nous pouvons alors retrouver un chemin vers
l'être plus authentique. Et surtout vers la
liberté. C'est-à-dire vers l'alliance avec ce que
nous sommes d'irréductiblement réel.
Le réel c'est aussi bien la cause de la religion que sa
limite
absolue. Le réel interdit que la religion s'érige
en
totalitarisme : victoire du symbolique sur un réel forclos.
On
ne peut tout réduire au symbolique, ou au sens, ou au
rationnel
: le réel (qui fait symptôme) y objecte.
La religion chrétienne hégémonique a
accouché naturellement de la science ou raison totalitaire.
Nous
devons garder en mémoire cette filiation pour
éviter
d'opérer en silence le meurtre du réel, ce qui
serait
notre fin. Ce n'est pas un danger imaginaire, il est au contraire ce
qu'il y a de plus pressant et de plus angoissant pour l'avenir de
l'humanité. Il serait donc temps de se réveiller
pour
prendre la mesure de ce qui est là en jeu.
Quoi donc au juste ? Le mystère de l'être qui
au-delà de toute représentation est notre cause
réelle. Ce qui nous divise et nous réuni
à la
fois, ce qui nous relie au passé comme au futur. De cela le
sexe
est le noeud. Le sexe qui est en nous, corporellement, le
représentant du réel, ce qui objecte toujours et
partout
au sens et notamment, ce n'est pas pour rien, à la religion.
Scandale et ironie : mieux vaut se détacher des vieilles
lunes
idéalistes : elles n'ont pour principe que la mort. Il faut
savoir être dur envers l'aliénation et ne pas lui
accorder
de pardon. Qu'elle périsse entièrement. Et nous
comptons
bien l'aider à faire le pas.
***
> Il ne s'agit pas de faire grève, mais
de refuser
carrément le travail, car travailler, dans le cadre du
système monde actuel, c'est participer
encore
à l'aliénation qui est maintenant
entrée dans sa
phase terminale.
> Il ne s'agit pas de critiquer le
système, mais de
le détruire.
> Le système du monde est devenu
système
de l'aliénation. Pourquoi ? Parce-que la valeur
ajoutée n'est plus sacrifiée mais au contraire a
pris la place de la valeur absolue. C'est la
définition du capitalisme.
>
Il ne s'agit pas de détruire le monde, mais d'y
intégrer le réel de la division phallique. Ce
qu'il faut détruire, c'est donc seulement le
système de l'aliénation qui forclos cette
division, dans le lieu concret de l'être particulier,
individuel ou collectif.
Chacun doit porter et assumer sa solution, sa division propre : il n'y
a pas de solution générale. Par contre, il peut y
avoir des solutions collectives : nous ne sommes pas
condamnés à l'individualisme.
>
Il reste donc à inventer au cas par cas, dans tel contexte,
telle situation particulière, une solution pertinente non
généralisable. Mais ces solutions
singulières peuvent faire série ou ensemble et se
fortifier les unes les autres. Une chaîne ou une alliance
peut donc être constituée : travail de forgeron.
>
Il s'agit de fonder une alliance, soit un nouveau monde.
Système monde dont la valeur absolue ne serait plus le
capital, principe de l'aliénation, mais la
liberté. Ce qui ne peut s'accomplir que par le sacrifice de
la jouissance (la valeur ajoutée).
>La
liberté est
la seule valeur absolue. Dans l'ordre social, elle
représente le
réel en acte (au-delà du sens). Elle peut aussi
être comprise comme symptôme.