ZARATHUSTRA
26/09/2006
Traduction des Gâthâs (avec quelques modifications
personnelles) :
Jacques Duchesne-Guillemin : Zoroastre, étude critique avec
une traduction commentée des Gâthâs -
Éditions G.P. Maisonneuve et Laroze - Paris - 1948.
I
Z pour autant qu'il ait vraiment existé, me semble
très
proche de la culture des Vedas indiens. Il inaugurerait une
Théologie
de
la Lumière propre à
l'Iran
Mazdéiste, dont il ne serait qu'un interprète
particulier, dans un contexte et un temps donné, le
mazdéisme ayant pu par ailleurs prendre d'autres accents,
comme
dans toutes les religions.
Je le situerai dans la région d'Hérat en
Afghanistan,
dans un temps au moins contemporain sinon
antécédant
à celui des Achéménides, dont les
documents
attestent du culte royal d'Ahura Mazda. Le nom de Zoroastre figure lui
dans des textes Grecs, notamment chez Platon qui l'associe à
la science des mages (Alcibiade 122a). Il faut avouer cependant que
l'on est ici assez démuni pour pouvoir préciser
plus. Il parait par exemple difficile de suivre Aristote qui le
situerait
6000 ans avant Platon ! C'est pourtant une tradition bien
établie (Pline - Histoire Naturelle - Livre XXX - 3).
Z
aurait tenté d'introduire le culte mazdéen
auprès
de populations de culture indienne et son influence se serait ensuite
étendue en Sogdiane, dans le Khorassan, dans le Sistan et de
là dans toute la zone iranophone.
On notera que les Mages de Médie, étaient aussi
mazdéens, ce qui n'implique pas que Zoroastre ait
été Mage ou même, comme je l'ai
laissé
entendre précédemment, qu'il est fondé
le
mazdéisme.
La religion de
Zarathustra est
une religion de pasteurs-éleveurs plus
sédentaires que nomades.
Comme chez les Massaïs du Kenya ou les Peuls du Soudan
subsaharien, le Créateur a façonné
conjointement
l'homme et son troupeau, puisque la fonction du mythe est de rendre
compte de l'ordre des choses actuels, de le fonder en raison,
logiquement (par la parole qui est à la fois un art, un
mystère et un sacrifice).
Yasna 47 (3) -
L'Esprit
Saint :
"C'est
toi qui est le
père saint de cet Esprit,
lequel,
ô Sage,
a
créé pour nous le boeuf,
source de
prospérité,
et a
créé, en nous donnant la paix,
pour
l'élevage de ce boeuf,
la
Dévotion,
si elle
consulte la Bonne Pensée."
Yasna 29 (7) -
L'Âme du Boeuf :
"La
règle
de l'aspersion de purin,
pour le
bien-être du boeuf
et le lait
pour celui des hommes affamés,
voilà
ce que le Seigneur Sage*, le saint,
a
façonné par son décret,
en accord avec la justice."
*Ahura Mazda
Le problème est qu'un tel contexte
économico-culturel n'est
rattachable
à aucune société historique connue du
domaine
iranien. Cela plaide d'ailleurs pour la grande antiquité des
textes des Gâthâs zoroastriennes.
Ce qui est certain, c'est que Zarathustra voisinait avec des gens de
culture indienne, des védistes. Ses attaques contre les
Daewas,
plusieurs allusions aux rites sacrificiels védistes, le nom
même d'Ahura Mazda, la langue enfin, tout nous porte
à
penser que le zoroastrisme a été un rameau
spécifique d'une culture globale dont une autre branche a
été le védisme indien.
Sans
doute en Iran oriental s'est-il heurté
à un
clergé védique - dont il reprends d'ailleurs dans
ses
prières plusieurs expressions typiques -, soucieux de ses
prérogatives et peu enclin
à se laisser déposséder de ses
traditions. Z
serait ainsi un homme des marges, des transitions, en butte
à
des conflits et des contradictions intérieures autant
qu'extérieures.
*
Ce
qu'il annoncerait essentiellement, c'est le passage d'une religion
traditionnelle - le Védisme - centrée sur le
sacrifice,
à une religion monarchique centrée sur le culte
du
Souverain et de l'Empire. On peut le voir par exemple dans la Yasna 29
- Âme du boeuf - où cet animal qui a pris la
parole se
plaint d'être laissé à l'abandon,
à la merci
des méchants et réclame auprès des
Saints Esprits
Bienfaisants un protecteur, un directeur, un guide :
"L'âme
du boeuf s'est plainte auprès de vous :
Pour qui m'avez-vous créée ?
Qui m'a façonnée ?
La fureur, la violence,
la cruauté et la tyrannie m'oppriment.
Je n'ai d'autre patron que vous,
procurez-moi donc de bons pâturages."
Les
divinités n'ont malheureusement que Z à lui
proposer, un
prêtre ou plutôt un chantre (Zaotar) et non un
puissant
guerrier. Ainsi Z reconnait qu'il n'a comme arme que la parole et la
vérité, ou la sagesse dont il se croit le
dépositaire :
"Et
alors l'âme du boeuf gémit :
Dire que je dois me contenter, pour tuteur,
du verbe impuissant d'un homme rabougrit,
moi qui désire un homme fort !
Existera-t-il jamais,
celui qui le soutiendra de ses mains ?"
Le
boeuf par la bouche du prophète,
exprime
ici de façon déguisée et
élégante les
sentiments du peuple-bétail qui
réclame une main puissante pour le sortir de
l'embarras
et des tribulations.
On sait par ailleurs la violence des discours de Z qui appelle souvent
à une sorte de guerre sainte contre les
"infidèles", les
tenants des Daewas qui à ses yeux ont pris le parti des
ténèbres contre la Lumière du Seigneur
Sage (Ahura
Mazda). Mais il faudrait aussi considérer la teneur
intrinsèque du message zoroastrien, abstraction faite de ses
rapports conflictuels ou bienveillants avec son entourage.
*
Sortons donc du fameux "contexte historique" et centrons nous sur
l'âme de l'homme et ses intentions. Z affirme avoir
bénéficié d'une entrevue personnelle
avec Ahura
Mazda, dont il aurait ainsi reçu
l'éclaircissement,
l'enseignement, la sagesse - puisque le Seigneur Sage comme son nom
l'indique est Seigneur de Sagesse.
Yasna
43 (11,12) - Entretiens avec le Seigneur :
"Le
saint,
j'ai su que c'était toi,
ô Seigneur Sage,
quand il s'approcha de moi
en tant que Bonne Pensée,
dés la première fois
que je fus instruit en vos paroles.
Il me causera de la soufffrance chez les hommes,
mon zèle à pratiquer
ce que vous m'avez dit être le souverain bien.
-
Et
à pratiquer ce que tu m'as dit :
"Viens apprendre la justice !"
Tu n'auras pourtant pas en vain commandé ceci :
"Mets-toi en marche
avant que n'arrive mon jugement,
suivi du destin aux larges richesses,
qui répartira entre les deux camps,
comme lots, le salut ou la perte."
Ainsi
Z est devenu en quelque sorte
instructeur des hommes au nom du Seigneur Sage, père et
garant
de tout savoir, de toute sagesse. On voit par là quelle
importance pouvait avoir pour l'homme et sa culture contemporaine,
l'idéal du savoir, promis d'ailleurs à un bel
avenir (on
peut citer le gnosticisme helléne).
Si la sagesse est importante, c'est parce qu'elle est indissociable de
la vérité et de la mise en accord de l'homme
intérieur avec l'ordre cosmique extérieur. C'est
ainsi
qu'il faut comprendre le mot sagesse et l'on comprend alors que l'on
puisse en faire une religion. La religion pour Z consiste non dans la
pratique du sacrifice, mais dans l'observance de la
vérité, dans l'accord avec le principe
d'ordonnancement
universel (l'Un, le Purusha, l'Homme matriciel, l'Adam gnostique). Il
est vrai que selon l'ancienne conception, le sacrifice est aussi
ordonnancement et c'est pourquoi les védistes lui ont
accordé tant d'importance. Il y a donc avec Z un
déplacement du concept d'ordre qui était immanent
au
sacrifice et qui s'intériorise, devient abstrait,
délié de la scène
originaire du
meurtre
sacrificiel. Dans certains passages des Gâthâs, il
y a
comme une aversion physique envers les rituels sacrificiels, un
dégoût, une nausée. Et il ne s'agit pas
uniquement
des pratiques sanglantes, de la mise à mort du
Bétail (ce
par quoi sans doute il faut traduire le mot "boeuf"), mais aussi du
sacrifice du Haoma, qualifié d'ordure et enfin de toute la
scène sacrificielle prise en bloc comme objet
d'horreur. Peut-être Z veut-il par là seulement
dénigrer l'art et le savoir religieux des prêtres
qui ont
enflammés son courroux. Peut-être aussi avoue-t-il
ici un
état d'esprit extatique particulier qui me parait proche de
celui des orphiques Grecs, également grands contempteurs de
sacrifices.
Z influencé par l'Orphisme ? Ou l'inverse ? Pourquoi pas,
dans
un même temps, un même état historique
de
civilisation, les idées et les hommes se ressemblent, se
mélangent. Même s'il n'y a pas eu de lien direct
entre ces
mouvements, il y a évidemment convergence. La civilisation
de la
Grèce orphique n'est pas si éloignée
de celle de
l'Iran zoroastrien.
On nous dira que les orphiques n'ont jamais tenu de discours violents
et guerriers comme en tient Z. C'est oublier les tribulations de la
secte pythagoricienne, un mouvement orphique parmis d'autres, ayant
tenté une prise de pouvoir politique et donc
forcément
non exempt de violence, au contraire. Tous les sectaires et les
idéalistes du monde sont des gens très violents,
même quand ils prennent le masque du pacifisme. Mais les
orphiques eux ne se sont jamais souciés de le prendre.
Dans leur théologie que l'on peut qualifier
d'hermétique,
c'est-à-dire secrète et transmise par voie
d'initiation,
le sacrifice est dénoncé, parce-qu'il
répète le meurtre originaire du dieu dont ils
sont les
fidèles. Ils ne condamnent pas tout acte de violence, mais
seulement celui qui a eu pour proie leur Idole sacrée. Ce
dieu
sacrifié est d'ailleurs consubstantiel à
l'être,
c'est-à-dire au cosmos, d'où le respect
dù
à chaque être vivant. Il est l'Un qui est dans
Tout, comme
le chevreau dans le lait. S'il est blanc comme le lait, c'est
parce-qu'il est aussi Lumière et étant
Lumière, il
est aussi Vie et donc Puissance d'éternité. Il
est ce qui
maintient le cosmos en vie - d'où d'ailleurs la
nécessité de la répétition
rituelle de Son
sacrifice.
Une telle théologie du sacrifice est proprement universelle.
On
la rencontre justement en Iran dans le mythe de Mithra sacrificateur du
taureau dont la création tire son énergie, on
dirait son
âme, ou son souffle de vie, en lien avec le Sang sacrificiel
régénérateur et purificateur. Encore
une fois pour
cette antique religion, pas de vie sans sacrifice. Cette conception est
aussi ancienne que le monde (humain).
Les orphiques ont peut-être simplement remplacé le
sang
par le lait. Leurs sacrifices en tous cas, pour autant qu'ils en aient
eu, n'étaient pas sanglants. Maintenant, si on cherche dans
la
religion un objet de dégoût (ou de tabou), il est
évident que l'on tombera inévitablement sur le
sang.
Autant il peut être vénéré
comme principe de
vie, régénérateur et purificateur,
autant il peut
être considéré comme la pire des
ordures. Où
l'on voit peut-être s'écrire l'équation
sang=haoma.
Il est de l'ordre de la structure symbolique de nous conduire ainsi au
bout de l'analyse d'un terme, à son renversement dans une
valeur
contraire ou opposée à celle qu'il avait au
départ
(cf. Levi-Strauss). Et il est aussi de cet ordre de produire dans toute
société "globale" des divisions et des
oppositions, de la
complexité si l'on veut, selon que les acteurs choisissent
tel
ou tel sens (le Bon ou le Mauvais, le Bien ou le Mal).
Dans le même plan d'idée, on peut faire
référence à l'opposition entre
Ah(s)uras et Daewas.
Les uns étant révérés comme
dieux bons et
les autres comme démons, mais de façon
inversée en
Iran et aux Indes. Certains exégètes ont
avancés
que la source de cette opposition pourrait être strictement
structurale, linguistique et non historique, c'est à dire
surtout non zoroastrienne. Mais c'est oublier que la structure (si
structure il y a) est matrice de l'histoire, sinon elle
s'évapore dans l'abstraction, sans lien avec notre monde
matériel. Autrement dit, la structure n'existe que pour
autant
qu'elle s'incarne. Et - faut-il tout dire ? - elle s'incarne en
vérité en chacun de nous.
*
Voilà ce que je cherchais depuis le
commencement : le savoir
absolu ! Nous sommes tous dans l'Un, dans la Structure Universelle.
Nous baignons dedans comme le chevreau dans le lait et l'Internet n'est
qu'une de ses émanations, une de ses incarnations
matérielles, ou plutôt technologique. Mais qui a
été sacrifié ? Et qui est l'instrument
du
sacrifice ?
Peut-être après tout avons-nous
dépassé
l'âge du sacrifice. Non pas comme preuve de la violence
consubstantielle à la société, toute
société tirant sa cohérence interne du
sacrifice
qui désigne une victime et déplace la violence
à
l'extérieur, sur un objet de haine bien défini
(thèse de René Girard), mais comme source et
matrice de
l'ordonnancement du monde. En fait, nous n'avons plus besoin de cette
explication fondatrice pour penser la structure : nous n'avons plus
besoin d'un fondement rationnel même : la structure est en
nous
et agit à travers nous ! Elle se soutient toute seule, sans
fondement.
Le sacrifice était un moyen dans le monde ancien pour penser
et
représenter la structure, la mettre en scène de
façon signifiante et évidente. Il s'agissait de
saisir
à l'extérieur ce qui agissait à
l'intérieur
de façon invisible et inconsciente (autonome aussi). L'homme
est
ainsi mû par un esprit d'élaboration, de
construction, de
mise à jour, d'éclaircissement. Mais ce qui doit
venir
à jour, le sujet lui-même l'ignore ; il n'est que
l'instrument de cette "pulsion" représentative et
symbolisatrice. Le symbole étant incarnation de la structure
sur
un support externe, sensible, visible. Et finalement le symbole est
aussi devenu appareil, puisque la structure n'est pas que
représentée dans le symbole, elle est aussi
actualisée. Et la structure est vie et force et mouvement :
être en devenir. Elle est le principe ordonnateur universel.
Le
principe fécond. Le principe créateur de
l'être.
Avant que l'être soit, il y avait la structure. Mais avant la
structure, il n'y avait pas d'il y a. Donc il n'y a pas d'avant la
structure. La structure n'a ni avant ni après : elle est
éternelle. Elle n'a pas besoin de fondement, puisqu'elle est
le
fondement. Fondement éternel de l'être (qui lui ne
l'est
pas, ne l'est jamais). S'il y a un sacrifice, c'est donc celui de
l'être mortel, éphémère, qui
en quelque
sorte nourrit la structure. L'être n'est pas dans sa forme
essentiel. Il l'est en tant qu'être, en tant que la structure
n'est que parce-qu'elle produit de l'être : elle n'existe
qu'incarnée. Mais la forme dans laquelle elle s'incarne est
toujours éphémère. C'est parce-qu'elle
est
au-delà, dans une dimension absolue, invisible aux yeux et
aux
sens, mais seulement accessible par l'esprit, cette
quatrième
dimension incarnée en nous.
Au-delà de l'être donc il y a la structure. Elle
demeure
dans un lieu absolu, seulement accessible par l'esprit qui lui aussi a
cette propriété d'être
au-delà de
l'être, bien qu'il soit aussi dans l'être. Nous
sommes tous
dans la structure et elle est en chacun de nous.
II
Dans l'école pythagoricienne sous influence orphique, la
structure harmonique universelle avait été
mathématisée, ce qui avait ouvert de nouvelles
perspectives au développement de la science
mathématique
et géométrique. D'après le mythe
d'Orphée,
musicien et poète, on pouvait déjà
identifier le
principe d'ordre cosmique à un principe harmonique.
Orphée sacrifié, démembré,
s'identifie
finalement à la structure cosmique elle-même. Le
génie de Pythagore aura été de
déplacer
l'accent de la structure harmonique vers la structure
mathématique, du son vers les nombres, conçus
comme
entités sacrées intelligibles, briques
constituantes du
cosmos. Ce dont Platon fera plus tard le Ciel des Intelligibles.
Un génie mathématique ou logique, c'est sans
doute ce qui
a manqué à la religion mazdéenne. Par
rapport aux
indiens ou aux grecs, voire aux écoles iraniennes
d'inspiration
islamique, le mazdéisme apparaît très
pauvre sur le
plan intellectuel et spéculatif. Le Seigneur Sage n'a pas
été très fécond sur ce
plan. Cela est
dù peut-être à la victoire de l'Islam,
à son
prestige et à sa prégnance sur les consciences,
toujours
prêtes à se vendre au parti des plus forts. Les
mazdéens se sont repliés sur leurs textes
religieux
fondateurs, sur une tradition desséchée et ont
été incapables d'en faire vivre l'esprit, de
l'actualiser
à chaque nouvelle génération. Le
mazdéisme
est devenu peu à peu une tradition morte ; un folklore
pittoresque tourné vers le passé, mais vide de
sens pour
le présent. Cette tournure d'esprit archaïsante a
d'ailleurs séduit de nombreux érudits occidentaux
en mal
de racines et de mythes d'origine. On a cru retrouver dans l'Avesta, le
livre des mazdéens, la langue, la religion et l'esprit de la
communauté indo-européenne originaire. Les
études
linguistiques sont devenues des outils idéologiques,
importantes
surtout en Allemagne, où la Nation se cherche depuis
longtemps
des racines, une identité symbolique, une âme,
incapable
qu'elle est de se trouver, de se fonder comme Nation autrement que dans
le mythe. Nietzsche a payé de sa folie cet espoir de
refondation
mythique d'une identité problématique et
fantomatique :
notre Zarathustra n'est pas le sien !
*
Au XXème siècle, les sciences humaines
à travers
la linguistique, la psychanalyse, la mythologie comparée, le
structuralisme sociologique, avec des hommes comme Propp,
Dumézil, Jakobson, Levi-Strauss, Lacan, ou même le
philosophe Heidegger, très attaché à
une sorte de
culte ésotérique du langage, ont tenté
d'arracher
aux mathématiques dures le trône du Principe
Ordonnateur
Universel, pour le donner au langage, aux mythes, ou aux structures
symboliques organisatrices des rapports sociaux. Si d'après
la
religion védique le monde était
ordonné comme un
sacrifice, Lacan dira quand à lui que l'inconscient est
structuré comme un langage. Et on est là dans le
même niveau d'interprétation, sans aucun
progrès
réel de la pensée. A mon avis la structure ne se
défini ni comme langage, ni comme mathématique,
ces
derniers étant plutôt l'expression de son pouvoir
structurant, à l'oeuvre dans toutes les dimensions de
l'activité humaine. La structure n'existe sur le plan de
l'absolu que comme Puissance de structuration, au-delà de
telle
ou telle forme manifeste.
La révolution structuraliste a ses causes dans le rejet de
l'hégémonie des sciences dures, surtout dans les
écoles d'inspiration heideggerienne. Il s'agit de retrouver
à travers le langage un accès à la
source vive (et
mythique) de l'être. C'est en gros une réaction
contre la
modernité scientifique, industrielle et technologique.
Rendre au
langage sa communauté avec toutes les autres expressions de
la
puissance humaine de structuration, c'est lui enlever certes une aura
magique prestigieuse, mais c'est aussi lui donner plus de
réalité, de force, de
légitimité et
d'efficacité. Nous sommes à présent
sorti pour
toujours de l'ère mythique et nos efforts doivent se tourner
vers ce qui reste à réaliser pour demain, dans un
esprit
d'humble participation à la communauté humaine.
Les idéologies nationales ont toujours fait de la langue un
objet de culte, comme si elles pouvaient y trouver dedans je ne sais
quelle essence divine. C'est un leurre, grave parce-que bien des
intellectuels s'y sont laissés prendre, et que c'est
à
eux que l'on remet d'habitude la charge de l'autorité morale
et
le soin de conduire, de guider le peuple. Heidegger encore lui peut
servir ici d'exemple fameux. Non, nous ne ferons pas religion du
langage et nous ne sacrifierons personne à nos dieux ou
à
nos idéaux nationaux. Nous resterons au moins pur de ce
côté là. Et l'Internet ne sera pas non
plus notre
nouvelle Idéologie. D'idéologie en
vérité,
nous n'en aurons plus. Ce sera mieux pour tout le monde. Et
l'humanité de demain sera bien différente de
celle
d'aujourd'hui. Tant pis pour les docteurs de la Loi, les
traditionalistes, les nationalistes, les identitaires fondamentalistes
ou intégristes de tout poil : ils sont prévenus !
Le
monde va changer et eux resteront en enfer, chargés des
chaînes du passé, incapables d'accéder
au vrai
Devenir. Tant pis pour eux puisqu'ils veulent rester
attachés
à ce qu'ils sont : ils le resteront
définitivement et
pour l'éternité entière. Et nous,
rendus à
l'absolu, nous seront en lui toujours et éternellement
vivants
et nouveaux !
III
D'où vient la dévotion qu'éprouvent
les
philosophes pour les formes intelligibles, le savoir, la connaissance
rationnelle ? Peuvent-ils faire autrement d'abord ? Je veux dire que la
psychée humaine ou animale possède naturellement
la
faculté de reconnaître des objets, de les
mémoriser, de les classer. Et elle tend naturellement
à
développer sa puissance. Les philosophes,
fascinés par
les facultés de l'intellect, seraient donc mû par
une
pulsion inconsciente. Ne lui donnent-ils pas trop d'importance ? Il est
clair qu'il ne faut pas espérer un jour parvenir au bout du
savoir. La faculté intellective est une puissance infinie.
Elle
n'est pas statique, mais liée à un sujet vivant.
Bien
sùr, avec l'invention du langage et de supports visuels
externes, images et symboles, la psychée humaine
s'objective,
devient transmissible et cesse d'être liée
à un
sujet particulier. Mais elle ne perds pas pour autant son
caractère
subjectif : il n'y a pas de savoir purement objectif, qui serait
là existant à l'extérieur du sujet,
comme une
vérité éternelle. Nous voyons le monde
de notre
place, avec notre équipement sensoriel inné et
notre
culture.
Les philosophes ont défini l'homme comme animal rationnel.
Il
est vrai que les animaux communiquent. Mais ils n'ont pas de langage.
Leurs rapports sont directement informés par des messages
sensoriels chimiques, visuels ou sonores, qui ne sont en rien des
symboles. Les symboles sont constitués de formes
intelligibles :
qu'entendons-nous par là ? Quel est le propre du symbolique
et
de l'intelligible ?
C'est me semble-t-il une possibilité de transformation et
d'évolution illimitée de la forme intelligible et
sa
faculté de passer de l'individuel au collectif, du subjectif
individuel au subjectif collectif (social). Chez les animaux les formes
messages sont statiques et propres à une espèce.
Les
individus n'ont pas la possibilité de modifier la
forme-message,
de la faire évoluer (ou très peu).
C'est-à-dire
que la psychée individuelle animale est incapable
d'intégrer le message comme un objet transformable : il
demeure
statique. Il n'y a pas d'artistes chez les animaux.
L'activité
artistique, c'est-à-dire celle qui a pour objet justement
l'élaboration, la transmission et la transformation de
formes
intelligibles, est vraiment le propre de l'homme.
Certains oiseaux sont capables de chanter mieux, plus fort, avec plus
de nuances, de vivacité ou d'inventivité que
d'autres,
mais leur activité n'a rien d'individuel : elle est
spécifique. Et c'est ainsi pour toutes les formes
d'activité animale. Chez l'homme, le spécifique
s'individualise, s'autonomise et cesse d'être...
spécifique. Quel mystère que ce saut, ce hiatus
entre
nature et culture ! L'erreur des racistes, c'est justement d'avoir
confondu le culturel et le spécifique, l'homme et l'animal.
Aucune tradition, religion, coutume, n'est lié à
un
groupe humain par nature ou essence. Les formes culturelles
apparaissent, évoluent et disparaissent, mais les groupes
humains eux demeurent en leur fond, du point de vue
spécifique,
identiques.
Or la science avec ses appareils sophistiqués n'a
accès
qu'à la dimension spécifique
(génétique) de
l'être humain. Toute la dimension culturelle, symbolique,
psychique, lui échappe. D'où la
nécessité
à l'ère scientifique moderne de l'invention
d'une...
pratique comme la psychanalyse. Je dis pratique parce-que justement le
terme de science ici ne convient pas. La psychanalyse n'est pas une
science. Et si c'en était une, elle cesserait
d'être
psychanalyse.
C'est que la science s'intéresse à des objets
statiques,
naturels, objectifs, alors que la psychée est un non-objet.
Ou
un objet paradoxal. C'est-à-dire que les
éléments
qui la composent, les représentations, les symboles, les
signifiants, ne sont pas des objets fixes, des
réalités
concrètes : la psychée est un espace virtuel
où le
monde se réinvente et se métamorphose
continuement. Son
substrat, sa matière, sont immatériels : c'est la
représentation. Il faut préciser cependant que
cette
représentation est opératoire, en lien avec le
monde, non
pas représentation morte. C'est à partir d'elle
que le
sujet se situe et opère dans le monde. Aussi bien le mot
représentation ne convient pas parfaitement. Peut
être
pourrait on employer le terme de médiation, de
médium ou
de médiateur. La psychée serait alors
définie
comme appareil médiateur.
Le sujet en effet n'habite pas un monde brut, informe, mais un monde
construit, ordonné par le signifiant. L'homme a ainsi pour
toujours coupé le lien immédiat avec la nature
qui
caractérise l'être animal. Dans le mythe on
appelle
ça chute d'Eden : l'homme a mangé la pomme
empoisonnée du Savoir. Bizarre que ce dont on tire tant de
fierté soit en même temps
considéré comme
une malédiction. C'est qu'il parait qu'avec le savoir (ou la
parole), l'homme a acqui quelque chose de divin, de surnaturel et donc
d'interdit qu'il doit payer d'une manière ou d'une autre.
Cela
est assez clairement exprimé dans le mythe, universellement
:
Prométhée chez les Grecs, Yurugu le renard
pâle des
Dogons, Adam de la Bible Hébraique en témoignent.
Une telle unanimité laisse rêveur et c'est pour
cela que
je parle du mythe au singulier. Sous des dehors divers, le mythe est en
fait Un. Cette unité n'est pas d'abord saisissable, il faut
la
conquérir pour retrouver rien de moins que la parole
originaire,
celle dont le souffle nous a créé Homme, car le
nom
d'homme s'écrit lui aussi au singulier. Voilà
l'entreprise dans laquelle je suis embarqué : retrouver
l'Homme
Originaire, l'Unique, l'Adam, le Purusha qui est notre forme, notre
essence, notre identité absolue.
IV
Qu'est-ce que le principe unique ? L'apport essentiel de la
psychanalyse lacanienne a été de
séparer savoir et
parole, depuis trop longtemps identifiés. Le savoir est de
l'ordre du sens relatif, comme le Bien et le Mal. Par delà
le
bien et le mal, par delà le sens et par delà le
savoir il
y a l'absolu du matériel signifiant, de la structure ou
plutôt matrice linguistique productrice de formes
différenciées. Les lacaniens appellent cette
"chose"
la lettre (a).
C'est dire que nous ne suivons pas Nietzsche quand "par delà
le
Bien et le Mal" il trouve la Force, ouvrant par là la porte
à une idéologie de la puissance
développée
par les national-socialistes allemands. La matrice structurante est
bien une puissance, mais une puissance créatrice,
féconde, non inféodée à la
volonté
d'emprise et de contrôle du monde caractéristique
des
esprits chagrins, soucieux de revanche et qui n'est à terme
que
volonté de mort et de nuisance. Car pour prouver sa
supériorité, l'homme chagrin doit dominer l'autre
et il
ne le domine parfaitement qu'en l'anéantissant totalement.
C'est
ici que l'on voit que le désir de "Libération"
peut mener
au pire. On a pu le constater dans mainte révolution
populaire
tournant au cauchemard régressif le plus abject. Or le
nazisme a
bien été une forme de révolution
populaire, il
faut le rappeler : Hitler n'était pas un dictateur. Il a
gouverné en accord avec le peuple, porté par un
élan massif de refus de l'humiliation et de
volonté de
revanche. Il a été élu tout
à fait
"démocratiquement", même si cela doit faire mal
à
ceux qui n'ont que ce mot à la bouche et
prétendent
pouvoir tout régler (et surtout réguler)
à coup
d'élection et de parlement.
L'injustice entraîne certes la violence en
réponse, mais
pas autant que la basse connerie qui n'a ni cause ni limite,
parce-qu'elle est en soi un Absolu. Quel absolu ? Celui de la
négation de la Loi qui interdit à tous de se
prendre pour
l'unique au prix bien sùr de la négation,
c'est-à-dire du meurtre du voisin. La liberté
peut
être un leurre, un masque derrière lequel se cache
d'horribles raisons, à jamais refoulées dans les
zones
obscures de la psychée. L'inconscient n'est pas
essentiellement
sexuel, mais moral. C'est une réalité d'ordre
éthique qui n'a rien à voir avec de soi-disant
pulsions
naturelles ou animales.
La vérité est inconsciente. Et en tant que telle
elle est
inappropiable. Elle demeure libre de toute inféodation
à la
volonté d'emprise : elle échappe à
celui qui veut
la saisir, elle s'offre à qui veut la prendre. Impossible
à contrôler, ingérable : elle est femme
jusqu'au
bout des ongles. Elle est même parfaitement
incompréhensible et incohérente. Pourtant elle
est la
vérité.
La vérité n'est pas le savoir. Le savoir suppose
un
appareil logique, un maître (âne) ; la
vérité
le désuppose. Elle le fait d'ailleurs sans violence,
malgré elle : on ne peut bayonner la
vérité : le
refoulement échoue toujours ! la
vérité se plaint
: elle est prisonnière du Savoir ! La
vérité est
inconsciente...
Du principe unique on ne peut rien dire, sinon qu'il est
au-delà
du savoir. Non pas comme Tout savoir. Mais comme puissance de
manifestation de l'être. Cause absolue dont nous sommes
l'effet.
Et là c'est peut-être le taoïsme qui en
donne la
meilleure
expression, la plus juste, en renonçant
précisément à la donner. Mais sans
pour autant
renoncer à s'en inspirer de façon vivante et
créative. Paradoxe ? Mais vérité.
Dans
le taoïsme, le principe (Tao) s'il n'est pas chose
définie,
peut tout de même être conçu en tant que
Puissance Cause des Transformations. Le vrai taoïste n'est pas
attaché à sa forme particulière, il
sait qu'elle est éphémère et
plutôt que de se fixer sur un modèle, il
préfère errer, se laisser porter au hazard de son
inspiration. Il parait misérable et fou, mais c'est qu'il a
choisi l'absolu. Le jour de sa mort, il rit et s'extasie de se voir
encore promis à une nouvelle transformation (Tchouang-tseu -
chap. VI). C'est aussi une bonne méthode pour ne pas se
laisser envahir par le pathos face aux vicissitudes de l'existence. Une
philosophie au sens antique du terme.
Les
taoïstes sont souvent dépeints comme nos
alchimistes
occidentaux : ils sont sensés détenir la science
de la transformation des métaux et autres
matières. C'est qu'en occident l'alchimie a ses sources en
Egypte le pays de la Terre Noire (kême en
égyptien) où le scarabée roulant la
boule du soleil est aussi un symbole de transformation, de
regénération, voire de résurrection.
On en retrouve l'effigie sur de nombreux porte bonheurs, en concurrence
avec l'oeil oudjat (symbole d'intégrité), l'oeil
bénéfique d'Horus souverain du ciel et protecteur
des hommes. Modèle d'identification pour les pharaons.
V
Séparer
la vérité du savoir, c'est la voie qui conduit
non à la connaissance, mais à l'union avec le
principe unique. Et cette union est aussi participation à
l'être éternel, délivrance des
vicissitudes de l'ici-bas, accès à la dimension
absolue.
L'homme
moderne a tendance à s'identifier à sa conscience
et il
en reste captif. Se déprendre de la conscience, c'est
s'ouvrir
à l'Autre dimension qui demeure en nous
étouffée,
refoulée. C'est aussi aller à l'encontre
des vérités établies de ce
temps et
participer au travail d'émancipation de
l'humanité. Cela
suppose un choix et il repose sur une certitude subjective de fait
intransmissible. Ne pas être dans l'air du temps, ne pas
obéir aux dogmes, c'est en effet encourir la
colère du
troupeau endormi et de ses chiens de garde. C'est s'exposer
peut-être pour celui qui voudra aller jusqu'au bout, au
martyr.
El Hallaj, Jésus, Socrate, Giordano Bruno et tous les autres
"fous" de leur accabit, obscurs ou célèbres,
forment dans
l'absolu un choeur vivant et secourable tourné vers nous,
prêt à nous recevoir, à nous enseigner,
à
nous réconforter : on n'est jamais seul sur le chemin de
Lumière. Mais le premier qui l'emprunta et qui maintenant
règne là-bas. Puissent nos paroles le
réjouir pour
l'éternité. Car nous nous sommes
approchés et nous
l'avons reconnu. Lui Zarathustra l'immortel.